« Live for the future – Long for the past », soit « Vis tourné vers le futur avec la nostalgie du passé », vu en tag sur un mur à Hillsborough sur l’ile de Carriacou au bord de la mer des Caraïbes.
Retour vers le futur, car cela fait un mois et demi que nous avons quitté le Cap Vert, un mois que nous explorons les West Indies. La majorité des ancêtres de la population actuelle des Antilles a transité par l’archipel du Cap Vert, utilisé comme zone de stockage et de tri, car seuls les plus forts, ceux en meilleure santé et les plus dociles pouvaient survivre aux périodes d’attente avant la traversée.
Des dix îles qui constituent l’archipel, nous en avons visité quatre du groupe Barlaventos (au vent), délaissant les îles du Sud réputées pour leur volcanisme et donc impropres au mouillage. Chacune possède sa personnalité propre.
L’ilha do Sal, un rocher, du sable et du sel, est coupée en deux, le sud est réservé aux touristes, un aéroport moderne permet de charteriser à tout va sur les resorts et les belles plages. Le nord revendique son statut « No stress ». Grand mouillage à Palmeira, le seul mouillage bien abrité en fait, comme souvent dans ce genre d’endroit, navigateurs au long cours côtoient pêcheurs et cargos vraquiers ; les autorités sont peu pressées d’honorer leurs obligations administratives, un samedi qui plus est, c’est donc l’occasion d’aller faire un tour à Espargos (afin de faire les formalités d’immigration à l’aéroport), capitale de l’ile où le poisson acquis âprement à l’arrivée des bateaux à Palmeira est revendu au détail dans des bassines au coin des rues.
Le mouillage de Tarrafal sur l’ile de Sao Nicolau nous a abrités quelques jours. C’est une ile montagneuse et donc humide. Riche par la récolte de fruits, légumes et canne à sucre, elle est pourtant restée à l’écart de tout développement économique. Au 19eme siècle, elle est devenue le centre du rayonnement intellectuel et spirituel de l’archipel. C’est dans sa capitale Ribeira Brava que fut installé le séminaire du Cap Vert dans la maison du fils philanthrope du gouverneur de l’ile de retour de ses études de médecine en Europe. L’école attaché au séminaire a formé de nombreux iliens devenus prêtres ou fonctionnaires au Portugal.
Cette ville minuscule a ainsi servi de point de départ à l’évangélisation de l’Afrique de l’Ouest par le Portugal. Le séminaire a fermé lors de la séparation de l’Eglise et de l’Etat par décision de la nouvelle République démocratique du Portugal au début du 20eme siècle. Le bâtiment a été reconverti en centre d’accueil des déportés politiques portugais ce qui a fait fuir l’évêque à Sao Vicente.
Nous étions ignorants de ces faits et pourtant c’est auprès de la communauté religieuse de l’ile que nous avons choisi de réaliser notre « mission ». En retour de services rendus, un médecin ami nous avait confié 4 caisses de médicaments destinées à être remises là où il y en aurait le plus besoin. Des médicaments de base plus quelques « bombes atomiques » parfois bien difficiles à trouver.
Ce fût, incidemment, l’occasion de se renseigner en France avant de partir, sur le statut des médicaments ‘périmés’. Et bien, ce n’est guère brillant :
– tous les médicaments ont une date de péremption, celle-ci n’est pas forcément liée à un vieillissement des molécules mais à une logique de renouvellement des stocks,
– les pharmaciens et les laboratoires refusent de discuter de la stabilité des molécules au-delà de la période d’utilisation – clairement certaines deviennent juste moins efficaces (comme les antibio), d’autres ne bougent pas (comme le sulfate de morphine) certaines peuvent se dégrader (comme les béta-bloquants) – cette information n’est simplement pas disponible,
– les médicaments périmés (en Europe) doivent être détruits, il est hors de question de les trier et expédier dans des endroits où le besoin est fort sous l’argument massue : en cas de pépin les laboratoires ne peuvent pas assumer cette responsabilité (lire, il faut bien maintenir les marges bénéficiaires dans les pays pauvres),
– de sorte que l’une après l’autre, les associations qui se faisaient un plaisir, un enjeu, de livrer quelques médicaments d’utilité ont mis la clef sous la porte, menace de procès etc….
The mission : après leur avoir fait traverser une partie de l’océan, distribuer au mieux quatre caisses de médicaments.
Nous avons agi avec la prudence du raton laveur ; nos approches successives ont suscité l’intérêt de nombre d’individus, certains tibulaires, d’autres pas-tibulaires, tous offrant avec gentillesse de servir d’intermédiaires…. Plus perturbant, nous avons été mis en garde contre l’indélicatesse éventuelle de médecins et/ou infirmières et/ou pharmaciens locaux (« ils vont les revendre »).
Dans le village endormi de Tarrafal, nous avons trouvé un besoin apparent clairement établi mais sans les dérives associées aux grandes villes. Après réflexion, nous avons décidé d’approcher le prêtre en se disant que, sans être fondamentalement désintéressé, nous pouvions lui faire le crédit d’un zeste de sens moral. Cap sur l’église, il fallut revenir « mas tarde ». Douze heure trente, nous l’attrapons pendant le repas qu’il prend dans la salle commune du presbytère en compagnie (nous le découvrîmes plus tard) du bedeau, de son prédécesseur en semi-retraite et d’un fidèle d’origine italienne de bon aloi. Tout ce joli monde s’exprime dans un sabir étrange, mélange de Créoulo, Portugais, Espagnol, Italien, Français et une pointe d’Anglais (qui n’est pas dominant en l’occasion). Bref, on discute le bout de gras, l’intérêt est clair, les quatre en parlent entre eux (déjà nous sommes contents car aucun ne pourra se tirer avec les caisses sans que les autres ne surveillent) et nous disent pouvoir gérer le machin en faisant passer aux personnes dans le besoin soit en direct pour ce qui est simple, soit à travers leurs copines de bonnes-sœurs qui tiennent un dispensaire ; ils sont aux anges, la classe pour des religieux, hi, hi. Ce serait mieux de ne pas traverser la ville avec nos caisses, rendez-vous est pris pour le lendemain matin 9h avec le bedeau qui viendra nous chercher en voiture au bord de la plage et effectuera le transport terrestre. Chose dite, chose faite, sidération des locaux au vu de ce transbordement exotique via l’annexe sur le plateau arrière d’un 4×4 immaculé (conception de son prénom), étonnement de voir deux « arrivado » avec de si importantes relations, etc… bref, nous avons bien ri.
Nous avions passé un long moment à trier le contenu des caisses afin d’isoler dans une les machins un peu lourds (Ixprim, Cortisone etc…) et bien repéré celle-ci. Instructions passées au Padre (et bien comprises) de ne pas jouer avec cette caisse sans avis médical. Partage du café avec le bedeau et le prêtre retraité, barbiche blanche et physique sang-mêlé indien, on découvre l’organisation des communautés Capucines au Cap Vert, les parcours des uns, des autres…. puis bye-bye…
Qu’ont en commun la Somalie, l’Erythrée, le Soudan, le Tchad, le Niger, le Mali, le Sénégal, la Mauritanie et le Cap Vert ? Tous ces pays africains se situent sur le 15eme parallèle, route des caravanes trans-saharienne depuis les temps bibliques et nouvelle désignation de la route du trafic de cocaïne d’Amérique du Sud vers l’Europe.
Quel est le point commun entre le Ghana et le Cap Vert ? Ces deux pays sont des success story économiques du continent Africain avec un haut taux d’alphabétisation, un revenu par tête relativement élevé et des indicateurs de santé satisfaisants, et en même temps de plus en plus empêtrés dans la corruption liée au trafic.
L’Europe représente le second marché mondial pour la cocaïne à 36 milliards de $/an, juste derrière les US à 40 M$/an. Depuis le début des années 2000, le marché US diminue (répression) et les routes à travers le Mexique deviennent plus difficiles, le marché Européen a ainsi été développé, profitant de la route Vénézuélienne et du statut « ouvert » des Antilles Françaises et Néerlandaises – corrélation forte avec les taux de criminalité dans le milieu des années 2000. Mêmes causes produisant mêmes effets, l’Europe mettant en place des moyens permettant de limiter ce trafic via les Antilles, le passage se fait par l’Afrique de l’Ouest où s’effectue une partie du blanchiment (d’où les économies en apparence florissantes), puis transit via le Sahara jusqu’au Nord Marocain et le Sud de l’Espagne… partie gagnée. La communauté Européenne ne s’avouant pas vaincue réfléchit à accorder au Cap Vert un statut spécial de membre de l’Union – encore un avant poste…
On nous avait décrit Mindelo, capitale de l’ile Sao Vicente comme douce à vivre avec les langueurs de saudade popularisée par Cesaria Evora s’échappant des bars et quelques relents de ganja. Ce n’est pas ce que nous avons trouvé. Certes, les rastas ne guettent plus le chaland et subsiste un magnifique marché aux poissons mais la ville semble avoir perdu son âme : la dope y est bien pour quelque chose, yeux tête d’épingle, tension, ville sécurisée sur le périmètre portuaire, au-delà, frontière immatérielle à ne pas franchir, dans certaines baies désertes de l’ile, une vedette bien motorisée vient expliquer que c’est une réserve et qu’on ne peut pas rester, ou bien le fils ainé reste pudique sur les sources de financement de son 4×4 rutilant…
Enfin, l’ile de Santo Antao en face de Mindelo, une forteresse rocheuse perdue dans les nuages, inaccessible. Le plus simple est de prendre le ferry (lorsqu’il n’est pas en panne ou en réparation, sinon le transfert s’effectue en bateau de pêche sur lequel chacun est libre de vérifier la concordance entre le nombre de gilets de sauvetage et de passagers) et de traverser en crabe (effet venturi oblige) le chenal en une heure environ.
Alors que l’Allemagne a subventionné Sao Vicente, la France Sao Nicolau, le Luxembourg s’est chargé de Santo Antao. Le ferry atterri à Porto Novo qui est effectivement de béton tout neuf avec une surprenante gare maritime (et même des escalators – on croit rêver). Plus haut dans la montagne nous trouverons l’illustration d’un des dilemmes auxquels sont confrontés les organismes d’aides (souvenez-vous de Jean Daniel Rainhorn –Accroissement des inégalités –qui affirmait clairement que l’aide à destination d’Haïti avait été inutile voire contre-productive si l’on intègre le choléra amené par un militaire des Nations Unies). En 1997, dans un village accroché sur un piton et entouré de cultures en restanques , à 40 minutes à pied de Ponta do Sol, le Luxembourg amène de l’argent et implante au centre du village un ‘centre sanitaire’, remplaçant la traditionnelle fontaine par une installation en dur avec lavoir, toilettes, douches etc… 15 ans plus tard… la place du village qui avait été bétonnée pour les besoins de la cause est vide, une nouvelle fontaine avec de l’eau courante tirée du ruisseau sert de lieu de rendez-vous, on pisse en aval et le ‘centre sanitaire’ est désaffecté…
Les vallées profondes (Ribeiras) du Nord-Est bordées de forêts de pins (replantés grâce aux fonds luxembourgeois pour compenser la déforestation mais négligeant le fait que les aiguilles, si elles favorisent la récupération d’eau, par leur acidité empêchent la formation d’humus indispensable à la diversité de la flore), d’eucalyptus ou de mimosas sont historiquement cultivées et habités. Le Sud-Ouest est perdu, sauvage, il est recommandé d’y aller avec prudence.
A l’arrivée du ferry, un aluguer (taxi) nous dépose à Villa das Pombas à l’entrée de la Ribeira do Paul que nous remontons jusqu’au village de Manuel dos Santos à l’a pic du cratère « Cova Paul » (prononcer Pa-oul).
Le lendemain, 500 mètres de dénivelé à grimper par un chemin de mule – mais pavé, construit par des générations d’esclaves aux ordres des colons juifs-portugais d’abord (virés du continent à l’époque de l’Inquisition) puis portugais dès lors que la rentabilité du trafic d’esclave a été suffisamment bien établie – au milieu des plants de cannes à sucre, des papayers, manguiers, caféiers, bananiers, haricots, courges, cresson. Au détour du chemin qui tournicote, grimpe le long de la paroi verticale, des petites vieilles hilares proposent un verre de grogue, la principale production et consommée presque en totalité sur l’ile, un grand père nous raconte qu’il a travaillé sur le port de Rotterdam et qu’au printemps, il prend l’avion pour New York voir sa fille. Maintenant nous savons qui sont ces voyageurs que l’on rencontre dans les grands aéroports internationaux si différents des touristes dépenaillés et des hommes d’affaires stressés : des visiteurs. Les calculs varient mais il semble que la communauté expatriée du Cap vert soit plus importante que la population de l’archipel, le principal pays d’accueil étant les USA. L’argent reversé au pays (remittance) représente 20 % du PNB.
Le chemin grimpe, grimpe, traverse les nuages et soudain s’ouvre sur le cratère : grand soleil, calme, verdoyant, des vaches dont les cloches tintinnabulent, on se croirait dans les alpages. Nous sommes à 1 400 mètres d’altitude, en dehors du temps.
Le tour du cratère fait environ 3km, au bout du bout, il n’y a rien, ou plutôt le vide qui s’enquille dans la Ribeira del Torre, la vallée d’à côté. La descente sur le flanc Nord-Est est à proprement parler vertigineuse à travers les nuages et des paysages incroyables. On aperçoit le petit village de Rasa Curto (quelques maisons posées sur une arête rocheuse), le rocher de Torre, la vallée qui se poursuit en pente dure sur XõXõ (prononcer Chu Chu) puis serpente en pente douce jusqu’à la mer où se trouve la plus grande ville de l’île Ribeira Grande.
Quelques kilomètres à l’Ouest, se trouve la station balnéaire de Ponta do Sol avec ses structures en béton d’hôtel abandonnées et sa piste d’aéroport désaffectée. En réalité, le développement s’est arrêté et ne subsiste que l’activité de pêche et quelques restaurants à touristes. La mer est tellement dure à cet endroit que sur chaque barque, un pêcheur est chargé de guetter l’état de la mer et d’indiquer l’instant le plus propice pour passer la barre à l’entrée du port. Le poisson est ultérieurement vendu au marché par les femmes, à un prix convenu, chacune sa spécialité (mérou, chinchard, thon), les profits (y compris ceux résultant de la vente de sacs plastiques) sont mis en commun. A l’extérieur de la ville nous tombons sur une nouvelle illustration de cette économie communautaire : installation de stockage de cochons (porcherie collective d’un point de vue infrastructure globale mais individuelle dans l’allocation des cellules de confinement des porcins).
Véritable forteresse par ses falaises noires, l’ile de Santo Antao n’est pas tournée vers la mer. Ses habitants sont résolument terriens et sédentaires. Ils semblent vivre reclus dans leur village, sans télévision, sans internet et sans téléphone mobile (le contraire de l’Afrique de l’Ouest) et ne se déplacent que peu. Les routes étroites sont peu fréquentées alors qu’en Ethiopie, pays de pèlerins et de nomades qui a engendré de nombreux marathoniens, la vie est au bord de la route. La route de la Corde qui traverse l’ile du Nord au Sud et emprunte la crête de Delgadim est abandonnée au profit de la nouvelle route goudronnée, plus large qui longe la côte, ce qui rend encore plus prégnant l’isolement des villages perchés.
La seule voie de développement entrevue par les politiques et les locaux est le tourisme. Pourtant rarement ailleurs, le degré d’investissement des sociétés étrangères ou d’implication de la population ne nous a paru aussi faible. L’absence de réalité est aberrante, comme si on souhaitait créer une bulle spéculative au bout du monde. Tous les prix sont déconnectés du niveau de revenus des locaux et élevés pour les touristes, du kilo de tomate à la parcelle de terrain en ville en passant par le plat de poisson ou la course en taxi, comme si on cherchait à créer deux niveaux d’économie tout en espérant tondre les touristes sans offre aucune avant qu’ils ne deviennent trop nombreux .
Mindelo 12 décembre 12 heures 12 minutes, les voileux arpentent les pontons, y aller ou pas, discussions en boucle, la météo inhabituelle, les auspices, etc.? To Go or Not To Go ? Pour nous, ce sera simple, let’s go to bago, ha, ha… Vous connaissez la suite.
Avec nos meilleures pensées, Santé et Sobriété,
Stéphanie / Christophe
Bequia – Saint Vincent et les Grenadines
31 Janvier 2014
Bonjour Christophe et Stéphanie
On s’y croirait! Donc, inutile de tenter d’y aller…En ce qui concerne l’aide, cela semble être partout la même chose. C’est bien triste.
Bonne route,
Christian et Janine
Bravo pour le point de chute des précieuse caisses et la prudence de sioux nécessaire à leur écoulement “safe”. Quant à Santo Anto, nous nous délectons encore du Grogue local, mais aussi du Punche Napoleon. Nous avons aussi contemplé avec respect la formidable centrale électrique de Ribeira Grande, tellement poétique !
A bientôt, si vous passez à la Marina Bas du Fort nous y serons peut-être encore avec notre puissant sloop à moteur.
Marie-France et Alain
Salut et Fraternité
c’est la lecture de ton journal de voyage qui nous a donné l’envie de passer une dizaine essentiellement à Fogo et Santo Antao .
Sur les traces de BergiBerg ….
Françoise et Marc
Merci pour cesindispensables révisions géographiques !!! si en septembre,vous passez du coté d’ Astrakhan,nous y arriverons par la Volga !