Déboulée sur Lanzarote par un petit « force 5/6 Beaufort » bien enlevé, tentative de mouillage à Arrecife (à éviter, fond de mauvaise tenue), et voilà « Yo! » amarré dans la marina de Puerto Calero sur l’île de Lanzarote dans l’archipel des Canaries. Notre premier trajet dans l’Atlantique aura duré 12 jours avec une escale imprévue de 4 jours à Mohammedia, quelques miles au nord de Casablanca, histoire de ressortir babouches, voiles et fichus….
Le 24 septembre nous avons franchi les colonnes d’Hercule, la limite pour le monde antique du monde connu. Hercule aurait séparé les collines de ses mains créant ainsi le détroit. Les deux colonnes symbolisent le lien entre la Terre et l’Océan. Le mont Calpe de l’Antiquité correspond à l’actuel rocher de Gibraltar. Sur la rive sud, le mont Abyla des anciens est le Djebel Moussa, situé au Maroc près de Ceuta
C’est exactement entre les colonnes d’Hercule que passe le « premier parallèle », sorte d’équateur des régions tempérées maitrisées par les savants antiques. A la sortie du détroit et baignant dans les eaux de l’océan Atlantique se trouvent les deux villes antiques de Gades (Cadix en Espagne) et Lixus (Larache au Maroc). Ces deux villes déterminent une ligne Nord/sud, sorte de méridien qui constituait alors la limite occidentale de la terre habitée, l’Ecoumène. Ces deux lignes imaginaires se croisent aux environs de Tanger. Les 3 sites correspondent à trois exploits relatés dans la légende d’Hercule : à Lixus, Hercule s’empare des pommes d’or des Hespérides, à Tanger il soulève le géant Antée et à Gades, enlève les bœufs de Géryon.
Les Grecs plaçaient au-delà de la limite occidentale du monde connu et des travaux du héros, les puissances terribles comme les Gorgones, le géant Atlas ou l’Île des Bienheureux où séjournent éternellement les morts, île placée au niveau du Cap Vert par Ptolémée.
Christophe Colomb premier navigateur à vouloir rejoindre « le Levant par le Ponant » – comme nous – est quant à lui parti des environs de Cadiz.
Dans nos atlas modernes, la frontière imaginaire entre la Mer Méditerranée et l’Océan Atlantique est tracée entre le cap Trafalgar à l’Ouest de Gibraltar et le cap Espartel, à l’Ouest de Tanger. Son franchissement est l’occasion de fêter l’entrée de « Yo! » en Atlantique et d’ouvrir la bouteille de champagne « Atlantique » prévue par Vincent :
Alors, nous prenons des relèvements tout en louvoyant entre les cargos du rail sortant et ceux du rail entrant, attendons patiemment d’avoir le phare du Cap Espartel par le 165° pour réputer le franchissement.
C’est long, celui-ci se fait attendre. Heureusement la prise de conscience subite que la déclinaison magnétique de + 5° nous est favorable permet d’anticiper l’évènement : Ca y est! Nous sommes dans l’Atlantique! Vive l’inconnu! A nous la longue houle! Fini l’absence de vent, fini la météo inconstante de la Méditerranée! Enfin!
En fait, ça ne s’est pas du tout passé comme prévu. Partis précipitamment de Gibraltar pour échapper aux dépressions qui s’abattaient sur les côtes Portugaises et risquaient de verrouiller le détroit pendant 15 jours, nous avons longé les côtes Marocaines dans une absence de vent type pétole molle, puis nous sommes retrouvés contraints à relâcher à Mohammedia afin de nous abriter de la queue d’une dépression chargée de pluie qui a même inondé Marrakech, c’est dire.
La marina de Casablanca, dont les travaux de réfection ont débuté en 2000 est opérationnelle depuis 2005, euh, non pardon, 2010, euh, 2015….. de ce fait, le port de Mohammedia, est la seule marina Marocaine Atlantique hors Agadir ; c’est un bel exemple de mixité : protégé de la houle du Sud-Ouest par une immense digue, un terminal pétrolier construit dans les années 70 pour LA raffinerie Marocaine, côtoie un port de pêche vrombissant qui abrite dans un coin une minuscule marina.
Accueil simple et très sympa. Nous nous sommes régalés d’observer les va et vient des uns et des autres à l’abri de la grande digue dans la plus grande indifférence. Nous nous sommes également régalés de partager les sardines grillées dans la rue avec les familles du tout Casa qui descendent à la plage le dimanche après-midi, tout comme de faire la « closing-party » du roof top du restaurant Le Port avec la jet-set locale. Une bonne occasion d’observer un Islam tolérant où des femmes voilées et coquettes sont attablées avec des femmes en t-shirt et où l’alcool coule à flot. Pourtant, l’Islam est omniprésent, comme en témoigne la grande mosquée de Casablanca construite sous le règne et les directives du roi Hassan II. Erigée en partie sur la mer, elle comporte le minaret le plus haut du monde.
La monarchie, son rôle, ses objectifs, beaucoup de discussions intéressantes. Le Janus du changement, la position de la femme est parmi les plus libérées du Maghreb, les cellules familiales se délitent. Excellent niveau d’éducation, peu d’activités offertes, il ne reste que l’expatriation.
S’en suit une lente descente des côtes marocaines, de longues nuits au large de Safi puis d’Essaouira à guetter les bateaux de pêcheurs éclairés ou non, aux mouvements erratiques, assurément et des moments à méditer sur la phrase attribuée à Aristote (?) : il y a trois sortes de gens, les vivants, les morts et ceux qui vont en mer.
Dans le pilote des Iles de l’Atlantique Nord, un des dangers signalés concerne le heurt de « cayucos » qui auraient chavirés incognito. L’archipel des Canaries est situé à moins de 100 miles des côtes marocaines et la situation politique trouble du Sahara Occidental attise la tentation de migrants qui vont rejoindre les camps de réfugiés de Fuerteventura ou de Tenerife, espérant passer en Europe.
L’Espagne s’est retirée du Sahara Occidental en 1976 et estime que depuis, sa responsabilité n’est plus engagée. Considérant que le processus de décolonisation du Sahara Occidental n’est pas achevé l’ONU a placé ce territoire sur la liste des territoires non autonomes, sans administration.
Depuis 2003, le Maroc et la République Arabe Sahraoui Démocratique (RASD) se considèrent chacune puissance administrante, l’Union Africaine reconnait le RASD, de ce fait le Maroc se trouve à être le seul pays Africain qui ne fasse pas parti de l’Union. Le Maroc souhaiterait intégrer le Sahara Occidental dans ses provinces du Sud, ce qui semble constituer un élément de stabilité politique au sein de la population Marocaine et a l’aval des puissances du « Monde Libre » pour lequel le front indépendantiste Polisario est perçu comme un outil de l’Algérie (cherchant à se garantir un accès à l’Atlantique et aux ressources naturelles). Le spectre d’un lien entre les jihadistes d’AQMI et les Sahraouis est également présent. Le référendum d’auto-détermination revendiqué par le RASD et l’Algérie n’a pu être mis en place depuis 1988, c’est si difficile.
En attendant, Les zones de contrôle du Maroc (80% du territoire) et du Polisario sont séparées par un mur de sable de 2500 km construit en plusieurs étapes par les Marocains dans les années 1980. La zone sous contrôle marocain se trouve à l’ouest du mur, la zone sous contrôle du Polisario à l’est.
Les perspectives économiques éclairent les enjeux. Le Maroc (en incluant le Sahara Occidental off course) détient la plus grande réserve de phosphates du monde et la production de primeurs sous serre connait un fort développement….
Maintenant que la Grèce, en dépit de son passé Homérique est tombée, le rôle de gardien des marches de l’Empire est dévolu à l’Italie (cf Lampedusa) et à l’Espagne (cf Melilla, Ceuta et les Canaries). Le Maroc tient également sa place dans ce dispositif, zone tampon que l’on veut bien utiliser mais pas intégrer, tout comme la Turquie que l’on aime mais dont on ne veut pas. Nul doute que l’Empire ne soutienne les deux filles de l’Eglise dans cette mission de protection contre les barbares ; cependant ses ressources étant massivement allouées :
– au profit de la satisfaction des moindres désirs d’une petite minorité qui roule dans de belles voitures, habite de charmants appartements, se nourrit de mets très fins (langues de rossignols farcies à la graisse d’urus dans Astérix – civelles et foie gras truffé de nos jours)…
– au contrôle des pulsions et à l’assouvissement du besoin infini de sécurité de l’écrasante majorité, suite ininterrompue de coupes du monde, de championnats, saturation de biens culturels et débats frelatés autour du thème récurrent de l’autre cet inconnu que l’on préfère exiler ou pudiquement recouvrir d’une cape d’invisibilité, perspective d’augmentation continue d’espérance de vie…
Ces ressources donc, tendent à se réduire, conduisant à ne plus pouvoir tenir le « Limes ».
En effet, durant la période de croissance de l’Empire, des grandes découvertes à la fin des trente glorieuses, les comportements de prédation permirent d’alimenter l’expansion à moindre coût, razzia sur l’or noir (esclavage, pétrole) par exemple, ce n’est plus trop le cas désormais.
On imagine sans peine une suite tirée des livres d’histoire, en est-il d’autres ? Vos suggestions sont les bienvenues…
Quelques centaines de kilomètres à l’Ouest, les Canaries: un archipel volcanique, situé juste au-dessus du tropique ; l’île la plus Nord, Lanzarote dont on connait principalement les troupeaux d’Anglais en vacances et le roman homonyme de cet écrivain parisien dépressif, frustré et voyeuriste Houellebecq. Ce qui frappe d’emblée est l’aspect désertique et désolé de cette île basse d’où dépassent une multitude de cratères. Lanzarote est soumise aux alizés et au courant froid des Canaries qui adoucissent le climat plus que la latitude ne le laisse imaginer : les températures ne dépassent pas 25° sauf pendant les épisodes de Sirocco. Du fait de la faible altitude de l’île les vents de Nord-Est qui arrivent chargés d’humidité n’ont que peu de conséquences sur le niveau de précipitations inférieures à 200 mm et dont une grande partie s’écoule dans la mer sans être récupérée par aucune infrastructure hydrique hormis dans les zones cultivées.
De plus, le vent souffle presque constamment, ce qui favorise encore l’érosion des sols.
Ces conditions climatiques ont une grande influence sur les disponibilités en eau de l’île, à l’origine, quelques sources et puits. Aujourd’hui 100 % des ressources en eau douce proviennent de quelques barrages et surtout des usines de désalinisation. Ces installations rendent possible l’accueil massif de touristes à qui on propose spa, piscines, jardins, golf… Le prix de l’eau est aux environs de 0.60€/m3 pour les 10 premiers m3 puis grimpe aux alentours de 3 à 4€/m3 au-delà de 40m3 ou bien pour les usages récréatifs, il en résulte un autocontrôle important de la consommation. D’aucun ne pourront s’empêcher de mettre en regard le prix moyen pratiqué en France (3.4€/m3 en 2012 pour une consommation typique de 120m3…).
La végétation naturelle de l’île très pauvre, est directement liée à la géologie, aux types de sols et aux conditions climatiques. Mais on ne peut s’empêcher de chercher dans quelles mesures elle résulte aussi de l’action de l’homme.
Les premières occupations humaines remontent aux 3ème-2nd siècles avant JC, par des immigrants probablement d’origine berbère ; à l’issue de cette vague de colonisation, peu d’indication de contacts intra-îles ou bien avec le continent jusqu’à l’arrivée des Espagnols au XVe siècle. On retrouve aujourd’hui tous les signes cités par Jared Diamond (Effondrement – 2006) comme favorisant la désertification et aboutissant à une catastrophe écologique : déforestation pour permettre les cultures, introduction & élevage de chèvres et de moutons, utilisation du bois pour les fours à chaux et l’élaboration d’eau de vie de treille, introduction d’espèces végétales exotiques d’Amérique du Sud. Auxquels s’ajoute l’enlèvement de la population locale pour l’esclavage. La situation est déjà alarmante au XVIIe siècle. C’est alors que les « Montañas del Fuego » se sont réveillées. Les éruptions ont duré 6 ans entre 1730 et 1736. La dernière éruption a eu lieu en 1824. Au regard de la quantité de lave rejetée et de la durée de ces éruptions, celles-ci figurent parmi les éruptions les plus importantes de l’histoire du volcanisme. Elles ont recouvert de millions de m3 les terres les plus fertiles et de nombreux villages ont été ensevelis. Ce n’est que très lentement que la végétation s’est peu à peu reformée.
Puis, nouvelle phase de déforestation dès le milieu du 19ème siècle, afin de servir l’industrie naissante de la canne à sucre, du développement « industriel » résulta une augmentation sensible de la population ce qui couplé à une économie de subsistance ne laissa d’autre choix que d’allouer d’encore plus grandes surfaces à la culture de grain ce dès le début du 20ème. De cette époque datent les nombreux aménagements en terrasses, restanques etc retenant le sol et l’eau, que l’on voit du ciel.
Dernière étape en date, les années 60-70, réorientation du modèle d’agriculture de subsistance au profit du tourisme et des services conduisant les habitants à abandonner leurs pratiques agricoles et par conséquence à arrêter d’entretenir les structures existantes de conservation du sol. L’érosion repartit de plus belle… on cite sur l’île voisine de Fuerteventura le réservoir de stockage d’eau de Las Peñitas, construit en 1943 et d’une capacité de 350 000m3. Il contient aujourd’hui 300 000m3 de boues.
Hormis quelques potagers qui bénéficient du goutte à goutte, la seule culture est la vigne qui produit le vin de Malvoisie. Chaque pied d’arbre à pinard est planté au cœur d’une cuvette de terre noire abritée du vent par un petit muret de pierres volcaniques. Celui-ci permet de récupérer la moindre goutte d’humidité nocturne.
Aujourd’hui l’île est exclusivement dépendante de l’activité touristique, ce qui accroit encore le stress sur l’environnement, malgré la déclaration par l’Unesco du parc de la Timanfaya comme réserve de biosphère et la défense du paysage traditionnel par l’artiste César Manrique interdisant tout panneau publicitaire sur l’île ou toute construction supérieure à 2 étages. Les visiteurs (plus de 100 000 par semaines en moyenne soit autant que de population locale) sont parqués dans des « resorts » blancs sur la côte Est et ne sortent qu’en bus pour aller visiter les volcans. Il faut dire que l’expérience d’un trek dans la mer de lave n’est pas pour les petites filles, bien plus extrême qu’une marche dans le Sahara. La soif, terrrrrrrrrrible….
Sur le point de vous quitter, un rapide sondage, merci par avance de vos réponses car nous sommes perplexes :
La question est venue sur le tapis suite à la sortie du système solaire de Voyager 1 (après 35 ans de promenade ce qui nous laisse de la marge). La sonde fournit toutes les informations nécessaires à une éventuelle civilisation extra-terrestre afin de nous retrouver – y compris un enregistrement vocal de Jimmy Carter dont on aurait pu faire l’économie.
Au vu de la vitesse de développement de l’espèce humaine sur notre foutue planète – très lent dirons-nous jusqu’au moment où le grand éléphant blanc féconda la mère de Bouddha il y 2500 ans puis extrêmement rapide à tendance exponentielle, la période de « conscience technologique » de notre espèce est infiniment petite par rapport aux quatre milliards d’année d’existence de notre berceau.
Adoncques, les possibilités auxquelles Voyager 1 est confrontée sur son passage sont les suivantes :
a) il n’y a rien – probabilité forte – pas de conséquence
b) quelques formes de vie peu développées – probabilité faible – peu de conséquences à très court terme, fort intérêt scientifique
c) formes de vie dans une phase de développement similaire à la nôtre, c’est-à-dire aussi prédatrice – probabilité très faible – grosses conséquences, on va se faire croûter
d) formes de vie très développées ayant déjà connaissance de l’existence de notre planète/humanité – probabilité encore plus faible – un stage à Bugarach s’impose.
D’avoir configuré la sonde avec toutes les informations permettant de localiser notre planète revient à avoir établi un parcours fléché du genre « mange-moi », est-ce une si bonne idée que cela ? Votre avis nous intéresse.
[nous avons baptisée cette problématique du petit nom de « la blonde et les Touaregs » par référence à une hypothétique blonde perdue au cœur du Sahara et qui de nuit aperçoit un campement de Touaregs…. nous pensons qu’elle ne se précipitera pas pour demander son chemin]
Avec nos meilleures pensées, Santé et Sobriété.
Stéphanie / Christophe
Puerto Calero
22 Octobre 2013
Le paradigme de la blonde et les touaregs m’a plongé dans un abîme de perplexité … d’un autre coté la vie sur terre finira par disparaître, naturellement ou par l’une de nos conneries, donc pourquoi pas à cause de cette sonde…et puis on peut imaginer que si des extra terrestres ont la technologie pour venir nous croquer, il doivent déjà savoir qu’on existe. Donc l’effet de la sonde est nul…et s’ils n’ont pas la technologie, c’est que ce sont nos équivalents, et qu’on peut se relancer dans une guerre froide, comme au temps de l’URSS, ce qui aurait pour effet bénéfique de mobiliser l’humanité à un objectif commun plutôt qu’à une compétition futile et auto destructive… Le pari n’est peut être pas si idiot qu’il n’y parait, a condition que la sonde nous donne quelques infos sur les autres vies éventuelles.