‘Tu n’as rien vu à Hiroshima’

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Mizaru, le singe aveugle, Kikazaru le sourd et Iwazaru le muet

Les trois singes de la sagesse sont une représentation du principe : « Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal. » Cette maxime serait apparue au Japon au 17èmesiècle (d’aucun en doutent) et a été popularisée par Mahatma Gandhi qui en avait fait un symbole de paix et de tolérance.

 

Ce principe de neutralité bienveillante est tout à fait compatible avec le culte du Jizo Bosatsu très populaire au Japon. Jizo est un Bodhisattva (un Bouddha en devenir) qui a choisi de repousser son entrée dans le nirvana jusqu’à ce que tous soient sauvés. Passeur entre la vie et la mort, plein de compassion, Jizo est le protecteur des voyageurs et des faibles donc des enfants et en particulier des enfants morts avant leurs parents, ou avortés ou ayant fait l’objet d’une fausse couche.

Selon la religion bouddhiste, le mérite acquis dans cette vie conditionne la suivante. Les enfants morts en bas âge n’ont pas eu le temps d’en acquérir suffisamment et sont donc condamnés selon la mythologie japonaise à empiler des pierres sur la berge de la rivière Sanzu (sorte de styx local) renversées la nuit par les démons. Jizo est vénéré dans le but d’alléger la punition de ces « petites âmes ».

Certaines statues sont entourées de stupas élevés par les parents, de jouets ou habillés. Les Jizo sont aussi vénérés pour accroître la fertilité.

 

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Glace matcha – Hondori Alley Hiroshima

 

Il existe une autre signification aux trois singes mystiques : « ne pas vouloir voir ce qui pourrait poser problème, ne rien vouloir dire de ce qu’on sait pour ne pas prendre de risque et ne pas vouloir entendre pour pouvoir faire « comme si on ne savait pas ».

Rien ne peut absoudre l’atrocité des bombes A. Celle d’Hiroshima obéit à un soupçon de raison ce qui n’est même pas le cas pour Nagasaki. Mais la présentation locale des faits ne laisse aucune place à la responsabilité du Japon dans l’enchaînement conduisant à la guerre pas plus que dans les crimes contre l’humanité commis dans les territoires occupés du Pacifique.

Dans ce pays qui nie toute prise de position individuelle (« We Japanese… »  est une expression si courante), tous les actes, du plus simple au plus élaboré semblent répondre à un pur acte de dévotion au groupe, au drapeau, à l’entreprise. Du Samouraï au « Salaryman » en passant par le Kamikaze, personne n’est vraiment responsable, même de sa propre vie, tant que le respect forcené de règles édictées est conservé. L’absurde est institutionnalisé par le Samouraï engoncé dans une étiquette militaire complexe qui fort souvent déboucha sur Seppuku (suicide par ouverture du ventre).

Dans ce contexte de servilité extrême, le fait que le Japon ait, en trois décennies, atteint le niveau de seconde économie mondiale interpelle ; est-ce la primauté du collectif sur l’individuel ? le respect de « la coutume » est-il suffisant pour stabiliser le système totalitaire? existe-il des mécanismes de réponses adaptatifs aux modifications de l’environnement ?

 

Le film Hiroshima mon amour (Resnais-Duras) décrit une relation éphémère mais passionnée entre une actrice venue tourner un film sur la paix à Hiroshima et un japonais.

Par des dialogues ânonnés, un mix d’images historiques et de prises de vue, le film tente d’effectuer un parallèle entre l’horreur absolue et collective vécue par les habitants d’Hiroshima le 6 août 1945 et l’histoire personnelle d’une jeune française, maîtresse d’un officier allemand tondue et forcée de quitter Nevers (Never, Ah ! Ah !) à la Libération.

Lui : Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien.
Elle : J’ai tout vu. Tout. Ainsi l’hôpital, je l’ai vu. J’en suis sure. L’hôpital existe à Hiroshima. Comment aurais-je pu éviter de le voir ?
Lui : Tu n’as pas vu d’hôpital à Hiroshima. Tu n’as rien vu à Hiroshima.
Elle : Quatre fois au musée…
Lui : Quel musée à Hiroshima ?
Elle : Quatre fois au musée à Hiroshima. J’ai vu les gens se promener. Les gens se promènent, pensifs, à travers les photographies, les reconstitutions, faute d’autre chose, à travers les photographies, les photographies, les reconstitutions, faute d’autre chose, les explications, faute d’autre chose.

Nous non plus, nous n’avons rien vu à Hiroshima, rien de plus. Et s’il n’y avait rien à voir à Hiroshima ? Ou rien qu’on nous laisse voir ?

 

3 Zatoichi

Beat Takeshi dans le rôle de l’épéiste aveugle. « Zatoïchi est un voyageur aveugle, qui gagne sa vie en tant que joueur professionnel et masseur. Mais son handicap dissimule un guerrier stupéfiant dont l’extrême précision et la rapidité au sabre font un combattant de kenjutsu hors pair. » Lion d’argent au festival de Venise en 2003.

 

Les concepts de Honne et Tatemae qui décrivent le contraste entre les véritables sentiments et désirs d’une personne et la conduite et les opinions qu’elle expose en public sont souverains dans les relations sociales au Japon. Le principe de Tatemae est assimilable à la pensée unique et correspond à celle que l’interlocuteur veut entendre. Il est justifié par l’obligation d’éviter le conflit, de préserver l’harmonie du groupe ou de sauver la face. L’expression « La vérité, rien que la vérité, toute la vérité » n’a absolument aucun sens. C’est même perçu négativement, honnêtement stupide surtout s’il n’y a rien à gagner. L’expression « Uso mo hoben » (le mensonge est justifié par l’atteinte des objectifs) résume l’attitude générale de tolérance vis-à-vis du mensonge.

En entreprise, l’employé récalcitrant est rattrapé par le « Ijime » qui le force à rentrer dans le rang par toutes les formes de harcèlement.

Extrapolé au niveau de la société ce comportement conduit à poser la question de savoir si tout le monde ment, sur quoi / qui repose la confiance ? Il génère un refus d’accepter toute responsabilité allant jusqu’au révisionnisme imposé aux voisins Chinois ou Coréens suite à la guerre du Pacifique ou la négation des conséquences de l’accident de Fukushima.

Hiroshima – Fukushima, la boucle est bouclée.

 

Elle : Tu ne peux pas savoir.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Tu me tues.
Tu me fais du bien. 
J’ai le temps.
Je t’en prie. 
Dévore-moi. 
Déforme-moi jusqu’à la laideur.

4 Fujitora

L’avatar de Zatoichi ans le manga à la mode One Piece, l’amiral Fujitora.

 

 

En complément pour les curieux deux albums photo plus détaillés :

https://goo.gl/photos/uvxM2umU8X9YdWrF6

https://goo.gl/photos/VbzzzJfWXJhxSbfMA

 

Om ka ka kabi sanmaei sowaka.

De wa mata,

Stéphanie / Christophe

Onomichi

6 septembre 2016

2 thoughts on “‘Tu n’as rien vu à Hiroshima’

  1. De retour à HK je reprend le fil de vos aventures nipponnes par ce dernier billet et reviendrai post par post là ou je vous ai laissé en partant, de la belle lecture en perspective . !! merciii

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