Mika Mito Men

Prêt au départ

La pause de navigation a été longue : 5 mois et demi en Europe pendant lesquels « Yo ! » a hiverné dans la marina de Tannowa dans la baie d’Osaka.

1er  Juin. Après un mois et demi de refit, « Yo ! » est prêt à quitter la marina de Mito dans la baie de Nagoya pour une traversée de 4500 nm vers Vancouver. Les enjeux sont de taille : environ 40 jours de navigation le long des 40°N avec forte probabilité de brouillard d’où une contrainte électrique non négligeable, une autonomie obligatoire en nourriture et en eau sur la période et une forte composante de stratégie météo.

 

Venant de Hong Kong, nous étions entrés dans l’Empire du Soleil Levant le 3 juin 2016 par l’archipel d’Okinawa, donc un an au Japon; suffisamment pour en savoir beaucoup et en même temps pas grand-chose sur ce pays qui présente le paradoxe permanent qu’une proposition et son contraire soient autant valides et que la « Japanese way » continue à nous apparaître à la fois ridicule et édifiante de par la réflexion et la maitrise du sujet qu’elle suppose. Mais nous y reviendrons, les longs quarts pouvant être propices à la réflexion.

La traversée du Pacifique Nord est conditionnée par la position de l’anticyclone dont le centre, une zone sans vent qui se balade quelques part au nord-ouest d’Hawaï et concentre tous les déchets plastiques du Pacifique réduits en particules microscopiques – la Chine et les US sont des producteurs ou consommateurs mineurs!-. Cette zone doit être contournée par le nord -la rotation des vents autour des anticyclones s’effectuant dans le sens horaire dans l’hémisphère nord- alors que défilent les dépressions qui naissent au Kamchatka au rythme d’une tous les 5 jours et qui balayent la zone d’ouest en est sans s’arrêter à la ligne de changement de date.

Cette route classique d’acheminement par cargo des produits de Chine vers le US -jusqu’au diktat America First de Donald dont il reste à voir la mise en œuvre- est peu fréquentée par les yachties. Tous ceux qui quittent le Japon par le Nord, choisissent de sauter d’île en île par les Aléoutiennes – Alaska sous l’alibi -fallacieux à notre sens- de rendre visite aux ours, orques, baleines… Plus tropicaux que polaires, nous choisissons la route sud.

 

 

Yo ! en tenue d’hiver, entièrement dégréé, haussières doublées voire triplées dans la marina de Tannowa

 

En prévision de ce long passage, tous les éléments techniques du bateau ont été passés en revue.

Lors du carénage, vérification des éléments submergés, peinture, hélice, dérive, safran. Puis contrôle des éléments propulsifs : moteur (grande vidange, changement du presse étoupe, nettoyage du bac) et voiles avec changement du vit de mulet et des billes des chariots de Grand Voile, changement des roulements à billes de l’enrouleur de génois (3 jours de boulot !) et service des winchs. Resserrage des boulons de Raymond (parce que Raymond barre). Inspection des éléments liés à la production d’énergie : éolienne, dont on a re-réglé les chakras  et échange d’une batterie. Hors sujet, les inénarrables et plaisantes activités plomberie. Pointage exhaustif de tous les éléments liés à la sécurité : contrôle des grab-bags (sacs et containers à emporter lors d’une évacuation), vérification de l’étanchéité, fixation des planchers, fermeture des coffres, calage du BIB (radeau de survie), positionnement de l’EPIRB (balise de détresse), acquisition de balise individuelle AIS accrochée au gilet. Mise en réseau des outils électroniques et protocoles de communication. Révision des procédures d’urgence….

Et ….rangement, rangement, rangement.

 

Le marin ne se nourrit pas uniquement de vent, d’eau fraîche et d’avenantes équipières. Il réclame avec régularité des éléments solides. L’avitaillement se transforme alors en affaire intéressante. Donc reprenons : une navigation de 45 jours estimés que l’on peut découper en une première période de 15 jours où il est possible de conserver des produits frais, puis trente jours d’alimentation sur produits de moyenne conservation, tant qu’il est possible de tenir le frigo et à laquelle on ajoute une période de subsistance de 45 jours -on ne sait jamais (certains ont mis 100 jours pour cette traversée, si, si). Apres moult calculs d’apport moyen de 3000 calories par jour et par personne -3600 pour Gabart, donc on n’est pas trop mal- la liste de courses comprend les items suivants : 12 kg de fruits et légumes (le choix est limité : aubergines, poivrons, concombres, choux, oranges, pommes, pamplemousses, tomates, carottes et patates à l’unité si, si), 3 kg de fromage (au Japon, camembert sous vide, fromage pasteurisé d’Hokkaido, sheddar et kiri), 60 œufs, 10 paquets de café, 250 sachets de thé, 30 paquets de biscuits, 6 litres d’huile d’olive, 5 kg de viandes ou poissons sous forme diverses -la pêche devient vite un élément de stimulation pour agrémenter les mets de la cambuse-, 4 kg de sobas, 4 kg de pâtes, 4 kg de farine, 100 boites de thon, sardines, légumes, fruits… et 40 kg de riz.

 

Sac de 5 kg de riz

 

C’est une chose bien connue au Japon, seul le riz de production japonaise est excellent et c’est donc le seul disponible -celui de Fukushima subventionné atteint des prix défiant toute concurrence-. Pour une dégustation parfaite celui-ci doit être cuit dans un « rice cooker », garant de l’obtention du riz gluant idéal à la confection de sushis. On retrouve le Japonica aux caractéristiques grains ronds dans la plaine du Pô parfaits pour la préparation du risotto.

Ce type de cuisson qui nécessite de rincer 3 à 4 fois le riz, puis de le cuire longtemps à la mode pilaf est inadaptée aux longues navigations. Pour notre objectif, du riz  long grain, Thaï ou Basmati convient bien mieux ; après avoir exploré les diverses boutiques qui proposent pourtant 25 riz différents, nous en avons trouvé… dans le chinatown de Kobé, aïe, aïe, la denrée s’échange à 10€ le kg !

Un premier intermédiaire a trouvé le moyen de nous faire livrer 10 kg de riz thaï (Indica rice en langage vernaculaire) à un prix abordable par Amazon.

Enfin un important négociant en grain de Nagoya, voisin de ponton et membre du très exclusif Yacht Club de Mikawa Mito, s’est un tantinet vexé qu’on ne puisse trouver du riz au Japon… il a promis d’en faire livrer 30 kg avant le départ, de l’Indica Rice selon les désirs de l’équipage ! Chose faite ce jour!!!!

 

 

A l’entrée du Daimon Zaka, le chemin emprunté par les pèlerins du Kumano Kodo vers le temple de Nachi Taisha, 2 cryptomères de 800 ans servent de passeurs. Le couple est nommé Meoto Sugi

 

 

A notre tour de reprendre la longue route, un an, jour pour jour alors…. bye, bye Japan

 

En complément pour les curieux un album photo plus détaillé : https://goo.gl/photos/iLxmtuypNvzDznvZA

Et en vidéo, le marché au gros de thon de Katsuura :    https://youtu.be/b1yf5DqYgZ4

Et un bato qui vole : https://youtu.be/8aAoKEepuSo

 

Stéphanie / Christophe

Mikawa Mito Marina – Nagoya – 3 juin 2017

 

Sans chicihi – San Ichi Ichi

 

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Enchevêtrement de voies et absence de style caractéristiques du centre de Tokyo.

 

Conurbation la plus peuplée du monde connu (43 millions d’habitants – Shanghai est la ville la plus peuplée avec 24 millions d’habitants), mais qui peu à peu amorce sa dépopulation : les prévisions démographiques la font rétrograder à la septième place en 2050 (33 millions d’habitants, soit le niveau de 1990), ville la plus chère, ville la plus riche devant New York (PIB), ville tentaculaire, chaotique, laide, cacophonique, sans repères possibles (hors avenues, il n’y a pas de noms de rues ou de numéros) mais aussi paradoxale, fluide, sécure, disciplinée, à la pointe d’une certaine mode, présentant une profusion de formes et de signes qui perturbent constamment le regard… Les qualificatifs excessifs ne manquent pas pour décrire Tokyo qui, à elle seule, concentre le tiers de la population nippone ainsi que la quasi-totalité des pouvoirs.

Ville phœnix  sans véritable urbanisme, elle renaît déjà deux fois de ses cendres au cours du XXème siècle. Ville qui vit sous une menace constante du « Big One » (le grand tremblement de terre) mais surtout d’une dégradation accélérée des conditions de confinement des particules radioactives liées à « l’accident » toujours en cours de Fukushima. Dans un contexte de déni de réalité à la limite du négationnisme entretenu par le gouvernement, les habitants s’adaptent, se résignent, feignent l’insouciance et se ruent dans les plaisirs instantanés. C’est cette forme d’amnésie collective que les bien-pensants nomment admirativement « résilience » tout en s’ébaudissant aux prouesses du Premier Ministre Abe faisant son Super Mario en vue de Tokyo 2020.

 

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Le sanctuaire shinto Yasukuni – construit à la mémoire de ceux (soldats, civils, animaux) ayant donné leur vie au nom de l’Empereur du Japon depuis 1869.

 

Dans la nuit du 10 au 11 mars 1945, 1700 tonnes de bombes au phosphore, magnésium et napalm sont déversées sur la ville par les B29 du général May responsable de l’opération « Meeting house ». De ses propres mots, 100 000 personnes sont « brûlées, bouillies et cuites à morts ». Il est à noter que cette opération de massacres de civils, autant qu’à Hiroshima, n’a pas empêché le lâcher ultérieur, par les USA, des bombes nucléaires sous le motif fallacieux de hâter la fin de la guerre du Pacifique. A l’issue du bombardement, 51 % de la ville est détruite.

Le brasier rappela aux survivants du séisme du Kanto (1er septembre 1923 – 140 000 victimes) les incendies attisés par un typhon sur la mer du Japon qui détruisirent les trois quarts de la ville alors construite en bois, à l’exception du palais impérial, mystérieusement épargné.

La physionomie de la ville qui ne parait pas être construite pour durer, le chaos, la confusion, la diversité de hauteurs, de matériaux est liée à la reconstruction qui suivit, favorisée par les américains.

 

San Ichi Ichi (311, c’est-à-dire Mars 11 mais aussi trois en un) est le nom donné à la catastrophe de l’explosion et de la fusion des réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi le 11 mars 2011 suite à un séisme d’intensité 9 et au tsunami qui en résulta. L’accident (comme il est de bon ton de rebaptiser la catastrophe) s’est déroulé à 120km des banlieues nord de la capitale ; le gouvernement s’est interrogé sur l’opportunité d’évacuer 50 millions de personnes.  Heureusement… les vents facétieux -Kamikazes au sens vrai-  sauvent la situation.

Résultant d’une interprétation originale et audacieuse des seuils de protection radionucléaire avec l’accord tacite des acteurs internationaux, seulement 400 000 civils sont évacués de la zone contaminée en 2011 ; 5 ans plus tard 160 000 ne sont toujours pas rentrés chez eux, survivant péniblement en préfabriqués, nouveaux parias d’une société d’exclusion ce qui n’est pas sans rappeler la discrimination à l’égard des 300 000 hibakusha, survivants des bombes atomiques.

Une particularité du désastre de Fukushima est qu’il est exclusivement « Made in Japan » et surtout pas accidentel : choix stratégique du tout nucléaire, implantation de centrale en dépit du risque sismique afin de minimiser les coûts de refroidissement,  mise en œuvre technique défaillante (choix type centrale, stockage combustible, piscine), gestion de crise mensongère qui perdure de nos jours (mise en sécurité des installations, fuites – ordre de grandeur  100 tonnes par jour –  à répétition de liquides radioactifs, traitement des 900 000 m3 d’eau radioactives à fin 2015).

 

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Shibuya vendredi soir – C’est avec Shinjuku et Roppongi un des quartiers de nuit célèbres pour leurs illuminations de néon. Pendant quelques mois au printemps 2011, tout était éteint après 22h.

 

Le désastre illustre la collusion entre la haute administration et les conglomérats (keiretsu) reconstitués dès 1952 et trouve ses racines fort loin dans l’histoire ou bien dans une histoire qui ne cesse d’être réécrite à petites touches.

L’invasion de la Mandchourie en 1931 : « l’incident » de Mandchourie ; le sac de Nankin en 1937 (2 à 300 000 civils exécutés) : quelques dizaines de dérapages des forces armées ; l’unité 731 (expérimentation bactériologique, 300 000 victimes) : n’existe pas ; la responsabilité de la famille Impériale dans les atrocités de guerre : aucune – merci Mac Arthur ; perdu la guerre du Pacifique : que nenni, l’utilisation d’armes « illégales » a seule arraché la capitulation; les criminels de Guerre : amnistiés dès 1952 avec la bénédiction des USA – guerre de Corée oblige.

 

 

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Roppongi – Où la ville se donne encore des allures de Blade runner, film de Ridley Scott de 1982.

 

Plus récemment, Minamata et son mercure, Teshima et ses déchets toxiques et l’on finira de nos jours avec Mitsubishi, le gigantesque conglomérat qui contrôle entre autre : Banque of Tokyo, Asahi/Kirin brasseur, Nikkon, Nippon Oil Corp, Mitsubishi Electrics, Mitsubishi Heavy Industries (le célèbre Zéro !!) ainsi que Mitsubishi Motor qui vient d’exploser en vol suite à une fraude basique depuis 1991 sur les rapports émissions de particules de ses moteurs… sa société sœur Mitsubishi Nuclear, qui elle ne fraude pas bien évidemment, fabrique les cuves des réacteurs EPR d’Areva/EDF dont certains commencent à s’inquiéter…

 

Le mystère de la singularité japonaise, « the Japanese way », colonne vertébrale d’une société oppressive reste entier et presque insupportable.

 

Et pourtant, des îles les plus reculées de l’archipel jusqu’aux métropoles d’Osaka-Nagoya-Tokyo, cœur du pouvoir japonais, nous n’avons rencontré que des gens charmants, tout au moins ceux qui ont accepté de discuter avec nous.

 

 

 

 

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La légende du grand poisson sur laquelle est posé le Japon et qui s’ébroue de temps en temps fait partie de la mythologie.

 

2011 : 21 février, séisme de Christchurch (NZ), 11 mars, séisme de Fukushima (JP).

2016 : 13 novembre, séisme de Kaikoura (NZ), 21 novembre, séisme au large de Fukushima (JP)

 

Corrélation n’implique pas causalité… le dragon a bon dos.

 

 

En complément pour les curieux un album photo plus détaillé :

https://goo.gl/photos/FyTwo5ABK86sYoi19

 

Et en vidéo, le carrefour des benêts :

https://youtu.be/CQSTJMd3BSc

 

De wa mata,

Stéphanie / Christophe

Paris 10 décembre 2016

‘Tu n’as rien vu à Hiroshima’

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Mizaru, le singe aveugle, Kikazaru le sourd et Iwazaru le muet

Les trois singes de la sagesse sont une représentation du principe : « Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal. » Cette maxime serait apparue au Japon au 17èmesiècle (d’aucun en doutent) et a été popularisée par Mahatma Gandhi qui en avait fait un symbole de paix et de tolérance.

 

Ce principe de neutralité bienveillante est tout à fait compatible avec le culte du Jizo Bosatsu très populaire au Japon. Jizo est un Bodhisattva (un Bouddha en devenir) qui a choisi de repousser son entrée dans le nirvana jusqu’à ce que tous soient sauvés. Passeur entre la vie et la mort, plein de compassion, Jizo est le protecteur des voyageurs et des faibles donc des enfants et en particulier des enfants morts avant leurs parents, ou avortés ou ayant fait l’objet d’une fausse couche.

Selon la religion bouddhiste, le mérite acquis dans cette vie conditionne la suivante. Les enfants morts en bas âge n’ont pas eu le temps d’en acquérir suffisamment et sont donc condamnés selon la mythologie japonaise à empiler des pierres sur la berge de la rivière Sanzu (sorte de styx local) renversées la nuit par les démons. Jizo est vénéré dans le but d’alléger la punition de ces « petites âmes ».

Certaines statues sont entourées de stupas élevés par les parents, de jouets ou habillés. Les Jizo sont aussi vénérés pour accroître la fertilité.

 

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Glace matcha – Hondori Alley Hiroshima

 

Il existe une autre signification aux trois singes mystiques : « ne pas vouloir voir ce qui pourrait poser problème, ne rien vouloir dire de ce qu’on sait pour ne pas prendre de risque et ne pas vouloir entendre pour pouvoir faire « comme si on ne savait pas ».

Rien ne peut absoudre l’atrocité des bombes A. Celle d’Hiroshima obéit à un soupçon de raison ce qui n’est même pas le cas pour Nagasaki. Mais la présentation locale des faits ne laisse aucune place à la responsabilité du Japon dans l’enchaînement conduisant à la guerre pas plus que dans les crimes contre l’humanité commis dans les territoires occupés du Pacifique.

Dans ce pays qui nie toute prise de position individuelle (« We Japanese… »  est une expression si courante), tous les actes, du plus simple au plus élaboré semblent répondre à un pur acte de dévotion au groupe, au drapeau, à l’entreprise. Du Samouraï au « Salaryman » en passant par le Kamikaze, personne n’est vraiment responsable, même de sa propre vie, tant que le respect forcené de règles édictées est conservé. L’absurde est institutionnalisé par le Samouraï engoncé dans une étiquette militaire complexe qui fort souvent déboucha sur Seppuku (suicide par ouverture du ventre).

Dans ce contexte de servilité extrême, le fait que le Japon ait, en trois décennies, atteint le niveau de seconde économie mondiale interpelle ; est-ce la primauté du collectif sur l’individuel ? le respect de « la coutume » est-il suffisant pour stabiliser le système totalitaire? existe-il des mécanismes de réponses adaptatifs aux modifications de l’environnement ?

 

Le film Hiroshima mon amour (Resnais-Duras) décrit une relation éphémère mais passionnée entre une actrice venue tourner un film sur la paix à Hiroshima et un japonais.

Par des dialogues ânonnés, un mix d’images historiques et de prises de vue, le film tente d’effectuer un parallèle entre l’horreur absolue et collective vécue par les habitants d’Hiroshima le 6 août 1945 et l’histoire personnelle d’une jeune française, maîtresse d’un officier allemand tondue et forcée de quitter Nevers (Never, Ah ! Ah !) à la Libération.

Lui : Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien.
Elle : J’ai tout vu. Tout. Ainsi l’hôpital, je l’ai vu. J’en suis sure. L’hôpital existe à Hiroshima. Comment aurais-je pu éviter de le voir ?
Lui : Tu n’as pas vu d’hôpital à Hiroshima. Tu n’as rien vu à Hiroshima.
Elle : Quatre fois au musée…
Lui : Quel musée à Hiroshima ?
Elle : Quatre fois au musée à Hiroshima. J’ai vu les gens se promener. Les gens se promènent, pensifs, à travers les photographies, les reconstitutions, faute d’autre chose, à travers les photographies, les photographies, les reconstitutions, faute d’autre chose, les explications, faute d’autre chose.

Nous non plus, nous n’avons rien vu à Hiroshima, rien de plus. Et s’il n’y avait rien à voir à Hiroshima ? Ou rien qu’on nous laisse voir ?

 

3 Zatoichi

Beat Takeshi dans le rôle de l’épéiste aveugle. « Zatoïchi est un voyageur aveugle, qui gagne sa vie en tant que joueur professionnel et masseur. Mais son handicap dissimule un guerrier stupéfiant dont l’extrême précision et la rapidité au sabre font un combattant de kenjutsu hors pair. » Lion d’argent au festival de Venise en 2003.

 

Les concepts de Honne et Tatemae qui décrivent le contraste entre les véritables sentiments et désirs d’une personne et la conduite et les opinions qu’elle expose en public sont souverains dans les relations sociales au Japon. Le principe de Tatemae est assimilable à la pensée unique et correspond à celle que l’interlocuteur veut entendre. Il est justifié par l’obligation d’éviter le conflit, de préserver l’harmonie du groupe ou de sauver la face. L’expression « La vérité, rien que la vérité, toute la vérité » n’a absolument aucun sens. C’est même perçu négativement, honnêtement stupide surtout s’il n’y a rien à gagner. L’expression « Uso mo hoben » (le mensonge est justifié par l’atteinte des objectifs) résume l’attitude générale de tolérance vis-à-vis du mensonge.

En entreprise, l’employé récalcitrant est rattrapé par le « Ijime » qui le force à rentrer dans le rang par toutes les formes de harcèlement.

Extrapolé au niveau de la société ce comportement conduit à poser la question de savoir si tout le monde ment, sur quoi / qui repose la confiance ? Il génère un refus d’accepter toute responsabilité allant jusqu’au révisionnisme imposé aux voisins Chinois ou Coréens suite à la guerre du Pacifique ou la négation des conséquences de l’accident de Fukushima.

Hiroshima – Fukushima, la boucle est bouclée.

 

Elle : Tu ne peux pas savoir.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Tu me tues.
Tu me fais du bien. 
J’ai le temps.
Je t’en prie. 
Dévore-moi. 
Déforme-moi jusqu’à la laideur.

4 Fujitora

L’avatar de Zatoichi ans le manga à la mode One Piece, l’amiral Fujitora.

 

 

En complément pour les curieux deux albums photo plus détaillés :

https://goo.gl/photos/uvxM2umU8X9YdWrF6

https://goo.gl/photos/VbzzzJfWXJhxSbfMA

 

Om ka ka kabi sanmaei sowaka.

De wa mata,

Stéphanie / Christophe

Onomichi

6 septembre 2016

Japan – Seto Naikai: Au son du Kanmon

Sennin-do shrine

Sennin-do shrine

 

Le petit sanctuaire shinto sur l’ile de Himeshima dans la mer Intérieure (Seto Naikai) symbolise l’idéal japonais que ceux qui ne sont jamais allés au Japon, imaginent se trouver harmonieusement réparti dans tout l’archipel et dont l’esthétisme et la sérénité imprègnent toute chose. Ce n’est pas tout à fait le cas…

 

2 Seto naikai

 

L’entrée dans la Seto Naikai par le Kanmon Kaikyo, une des trois passes qui permet au grand lac coincé entre les îles de Kyushu, Honshu et Shikoku, de respirer au rythme des marées (jusqu’à 4 mètres de marnage), nous a donné l’occasion d’apercevoir une face industrielle du Japon. Bénéficiant d’un emplacement favorable au pied des montagnes, au bord d’un axe de transport sécurisé jusqu’à Osaka, le littoral étroit de la préfecture de Yamaguchi a été sacrifié à l’implantation des chantiers, aciéries et usines lors de l’industrialisation forcée de l’ère Meiji. Après la défaite de 1945, dans un contexte de guerre froide déplacée de l’Europe vers l’Extrême-Orient et accru par la « menace » communiste en Chine, les Américains qui occupent le pays jusqu’en 1952 encouragent une reprise économique rapide. Pour le Japon, privé de dépenses militaires structurantes en raison du Pacifisme imposé, la guerre de Corée donne un coup de fouet grâce aux commandes de l’armée Américaine, les conglomérats d’avant-guerre sont bien vite reconstitués…

 

Ube

Ube

 

L’intervention de l’Etat par la création du MITI (Ministry of International Trade and Industry), la stabilité politique (ultra conservateurs dont relève de nouveau le parti de Abe San, premier ministre actuel), une population nombreuse (rapatriement des colons des territoires perdus en Chine et en Corée) éduquée et formée (reconversion des ingénieurs de l’industrie militaire) que les traditions portent à être docile et dévouée à son entreprise furent les clés du miracle japonais. La reconstruction est basée sur le développement de l’industrie lourde (sidérurgie, métallurgie, pétrochimie…) puis transformée en industrie spécialisée (automobile, électronique…) et enfin stratégique (l’informatique et le nucléaire qui sont déclarées priorités nationales après la crise pétrolière de 1973). Au plan national l’objectif de conquête commerciale mondiale par les produits japonais permet la reconversion pilotée d’une force belliqueuse ruinée et frustrée.

L’économie connait une progression fulgurante qui permet au Japon d’afficher le deuxième PIB mondial dès 1968 jusqu’en 2010 où il est dépassé par la Chine. L’apogée se situe à la fin des années 1980 et précède l’éclatement de la bulle spéculative boursière et immobilière de 1990.

Cette date signe le début d’une défaillance des indicateurs économiques : croissance faible, déflation persistante accompagnée d’un vieillissement inexorable de la population et d’une diminution de celle-ci à partir de 2005 (– 1 million depuis 2010) par refus de l’immigration.

 

Port de pêche d’O Shima. Toute la flotte est équipée pour la pêche à la seiche de nuit. Environ 10% des bateaux sortent encore.

Port de pêche d’O Shima. Toute la flotte est équipée pour la pêche à la seiche de nuit. Environ 10% des bateaux sortent encore.

 

Tous les ports qui ont été inscrits dans les multiples plans de relance de l’économie japonaise, présentent des structures surdimensionnées, bien entretenues mais vieillissantes et inadaptées. La proportion croissante de personnes âgées a un impact significatif sur la structure sociale (les femmes s’occupent des ancêtres) et sur les dépenses du gouvernement qui économise sur l’éducation, et le bien-être des jeunes pour redistribuer en soins de santé pour les plus les âgées et édifier des structures d’accueil. Au pays de l’inventeur du baladeur, du caméscope et de l’écran plat, on trouve encore des K7 dans les supermarchés comme si le virage digital avait volontairement été raté. Par désintérêt ? Par incompétence ? Par économie ?

Avec un peu de recul, peu d’inventions proviennent du Japon, de l’amélioration oui, massive, mais de nouveauté, que nenni.

Cette mise en retrait du monde, l’effacement progressif et désiré du pays (de 127 millions d’habitants aujourd’hui à 86 millions dans 40 ans)  présentent une déconnexion complète avec l’attitude de fermeté affichée face à une Chine qui exprime avec arrogance sa volonté expansionniste dans la zone.

Alors que Abe San -premier ministre- vient d’obtenir le quorum lui permettant de réviser la Constitution,  l’annonce par l’Empereur de son souhait d’abdiquer qui ne peut passer que par une révision Constitutionnelle, fournira l’occasion de réunir la Diète et peut-être enfin de parvenir à supprimer  l’article visant l’interdiction au Japon de posséder une armée…. Si la reconversion du matériel logistique civil en matériel militaire ou l’existence de compétences spatiales & nucléaires  ne laissent aucun doute, l’appétence au conflit d’une population dont 26% a plus de 65 ans (19% en France) semble plus hypothétique.

 

 

Où est le Tech ? le selfie, le selfie

Où est le Tech ? le selfie, le selfie

 

En complément pour les curieux deux albums photo plus détaillés :

Fukuoka:                                    https://goo.gl/photos/epqNLidvtzUpLfj98

Seto Naikai, indus et sereine:    https://goo.gl/photos/z4z7fW9FEfdRUMSQ7

 

De wa mata,

Stéphanie / Christophe

Hiroshima

15 août 2016

Japan – Kyushu Gotô Reto & Huis Ten Bosch: Shoshu in Kyushu

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Le Shōchū est une boisson typiquement japonaise originaire de l’île de Kyushu qui reste le lieu de production principal. A ne pas confondre avec le saké, cet alcool produit majoritairement par distillation de la patate douce dépasse rarement les 25°, soit moins que le whisky ou le rhum mais plus que le saké ou le vin. La manière la plus commune de le boire est dilué avec des glaçons et de l’eau. Depuis les années 2000, il connait un véritable boom de consommation et il est courant de voir dans les bars, les bouteilles numérotées ou nommées des habitués. On lui prête des vertus médicinales comme la prévention des thromboses ou des arrêts cardiaques. Il causerait également moins facilement la gueule de bois (l’équipage doute). La patate douce a été importée dans l’archipel de Ryūkyū au 16ème siècle d’Amérique du Sud par les Philippines puis, 100 ans après, cultivée dans la région de Kagoshima.

 

Détroit d'Ojika

Détroit d’Ojika

Il existe 6 852 îles officiellement recensées au Japon. Parmi celles-ci, l’archipel de Gotô, à l’extrême ouest du Japon constitue un ensemble particulier. Premier point de contact des marchands ou des missionnaires venant de Corée ou de Chine il fait désormais partie des îles éloignées et peu à peu oubliées.

 

3 Goto Reto

Persécutées par les Shoguns, les communautés de Kakure Kristians, chrétiens cachés ont trouvé refuge sur ces îles mêlant pratiques shinto et chrétiennes pour mieux passer inaperçues. On y trouve également des églises gigantesques.  Par tradition la source de richesse principale était la chasse à la baleine. Les flux migratoires se sont déplacés vers l’Arctique toujours suivis par les flottilles de pêche qui continuent à alimenter les supermarchés de Kyushu.

 

Huis Ten Bosch

Huis Ten Bosch

Les dédales d’îles cachent parfois des surprises originales, telle la ville d’Huis Ten Bosch entièrement artificielle, construite sur le modèle d’une petite Amsterdam avec des matériaux importés des Pays Bas. Parc d’attraction pour Japonais en mal d’Europe, elle tente de survivre à sa première faillite.

 

En complément pour les curieux deux albums photo plus détaillés :

Huis Ten Bosch : https://goo.gl/photos/hpXPYSYDZ7zDrAvc6

Gotô Reto : https://goo.gl/photos/WZiC4x7Y2VaE5PiH7

Et enfin, un publi-reportage Hong-Kongais: Yo! Team HK report

De wa mata,

Stephanie / Christophe

Yamato – Seto Naikaï

4 août 2016

 

Japan – Kyushu: Nagasaki & Unzen

Chantier Mitsubishi

Chantier Mitsubishi

Le nom de Nagasaki évoque immédiatement la bombe, la deuxième, celle du 9 août 1945, 3 jours après celle d’Hiroshima, celle dont on se demande bien pourquoi, si ce n’est tester le plutonium en lieu et place de l’uranium. L’ironie de l’histoire fait que Nagasaki n’était pas la cible initiale, mais la couverture nuageuse a fait que c’est là que « Fat man » a été larguée à 11h02, visant les usines Mitsubishi mais en fait au-dessus de la plus grande cathédrale d’Asie (pour le coup, l’expression foudre divine prit tout son sens), causant la mort d’un tiers de la population, 75 000 personnes.

La deuxième ironie de l’histoire est que Nagasaki fut le premier port ouvert du Japon. Au 17ème siècle, le Shogun du clan Akutagawa banni tous les étrangers du Japon, tous sauf initialement les Hollandais auxquels fut allouée, au cœur de Nagasaki,  l’ile artificielle de Dejima en forme d’éventail  rappelant celui de l’Empereur… Dejima resta le seul point de contact avec le monde Occidental  jusqu’en 1856, date à laquelle l’Amiral Perry ouvrit le Japon à coup de canon, on retrouve bien là la délicatesse Etats-Unienne.

 

On s'habille le Dimanche

On s’habille le Dimanche

Nagasaki est aujourd’hui une petite ville tranquille où flotte une impression de nostalgie et de regrets pour des temps révolus. Au-delà du sentiment d’impermanence propre à la civilisation asiatique et renforcé par la bombe, l’architecture, la préservation des sites abandonnés tel Gunkan Jima, les vêtements, les objets, les attitudes donnent l’impression que le temps s’est arrêté il y 30 ans, pic du modèle économique japonais.

 

Sulfureux n'est-il pas?

Sulfureux n’est-il pas?

A une heure de Nagasaki, Unzen nous fait prendre conscience du volcanisme présent sur toute l’ile de Kyushu. Cette petite ville est située à quelques dizaines de kilomètres de Kumamoto fief de Miyamoto Musashi (Traité des 5 roues). Le dernier tremblement de terre d’avril 2016 a endommagé le château célèbre comme lieu de reddition des derniers samouraïs lors de la seconde moitié du 19ème  siècle laissant ainsi la voie libre à la révolution Meiji.

 

4 Nepartak

Notre stop à Nagasaki coïncide avec la fin de la trêve cyclonique de l’hiver 2015 – 2016. Le 4 juillet Nepartak est classé en super typhon. Le suivi de sa trajectoire devient partie intégrante de l’activité journalière, dès le réveil avant même le café, à midi, le soir… Après avoir oscillé entre Sud Japon et Sud Taïwan, Chine, la bête s’effondrera finalement sur Taïwan le 7 juillet. Les vents atteindront 130 nœuds avec des rafales à 175 nœuds et des vagues de 17 mètres. A 1000 km de là, on s’en tirera avec des pluies diluviennes et des vents à 30 nœuds.

 

Pour les curieux, album photo plus détaillé sur :

https://goo.gl/photos/tmocBU3ZuYsimudUA

 

De wa mata,

Stephanie / Christophe

Hirado – Archipel de Gotô

20 juillet 2016