Bugis Dance

Tinabo island – Archipel de Taka Bonerate

Tinabo island – Archipel de Taka Bonerate

Août et la mer de Banda est en fleur. En cette année El Nino, la floraison de phytoplancton connait une intensité exceptionnelle, rendant la mer phosphorescente et blanche –la mer d’hiver, comme si les autochtones avaient déjà vu la neige-. Trois nuits fantastiques à naviguer en négatif lorsque des dauphins accompagnent le bateau, torpilles noires sur fond blanc, vers l’archipel Tukangbesi (ou WAngi wangi – KAledupa – TOmia – BInongko = WAKATOBI), le grand atoll de Taka Bonerate, où par effet de réfraction du soleil sur les zones peu profondes des lagons les nuages sont verts, et enfin le port des Bajo : Labuan Bajo à la pointe Ouest de l’île de Flores, qui contrôle le détroit de Komodo et ses étranges dragons.

2 Carte Sulawesi

Le continent maritime n’a jamais aussi bien porté son nom à tel point qu’il devient normal de vivre en mer plutôt qu’à terre. Sulawesi et Madura sont les patries de gens de mer : Bajo, Bugis, Macassar, Mandar, Butung et Madurese.

Initiales BB – Bajo vs Bugis

Nous avons rencontré Bajo et Bugis ;  les premiers sont nomades, vivaient dans des pirogues puis dans des maisons construites sur pilotis et sont marginalisés; les seconds étaient et sont encore réputés pour leurs compétences de navigateurs hauturiers et d’architectes navals -chantiers de Bonerate et de Bira- et exercent une forte influence au sein de l’administration et du gouvernement. Malgré leur différence de choix de vie et d’intégration, les deux ethnies ont uniformément subi à partir du 15ème siècle la même forme d’acculturation Musulmane, adoptant une forme sunnite d’Islam et participé à sa propagation en lieu et place de leurs pratiques animistes.

Le terme ‘Bajo’ désigne ceux qui vivaient ou vivent encore seulement sur la mer. Il est synonyme de ‘Sama’ en Bugis, ‘Orang Laut’ en Indonésien et ‘Sea Gypsies’ en Anglais. Leur véritable identité est donc ‘Nomades de la mer’.

 Wanci – Wangi Wangi – Village Bajo de Mola

Wanci – Wangi Wangi – Village Bajo de Mola

Les Sama Bajo ont principalement émigré de l’archipel de Sulu au Sud des Philippines et de la région de Sabah au Nord de Bornéo. Ils sont réputés pour leur exceptionnelle capacité de plongeurs en apnée et leurs migrations sont associées au commerce des produits de luxe issus de la mer et appréciés des Chinois : Trepang (concombre de mer ou « bonheur des dames » Marseillais), ailerons de requins et perles. Ils étaient (sont…) également célèbres pour leur activité de piraterie (Sulu, Moluques jusqu’au détroit de Malacca) sous contrôle des Bugis.

Aujourd’hui il n’y a probablement plus de ces vrais nomades qui formaient des villages par regroupement de pirogues sur des points d’ancrage abrités et se déplaçaient au gré des migrations des poissons. Forcés à la sédentarisation, fort souvent à la pointe de la baïonnette, ils ont abandonné ce mode de vie pour habiter des villages sur pilotis au bord des récifs ou des mangroves, proches de zones de pêche, leur dépendance pour l’accès à l’eau douce reste prégnante. On trouve des villages Bajo à la pointe Sud de l’île de Selayar, sur l’île de Wangi-Wangi et dans les îles habitées de l’atoll de Taka Bonerate. Ils continuent à vivre exclusivement de la mer : pêche et commerce inter îles.

Les pêcheurs Bajo sont souvent associés avec des pratiques illégales et destructrices : pêche à la dynamite, au cyanure, ramassage de corail et arrachage des arbres dans la mangrove pour la cuisine au bois. Typiquement tous les récifs le long des villages sont détruits par empoisonnement ou usage d’explosifs. La sédentarisation a restreint les zones de pêche et de fait réduit l’activité de pêcheurs-cueilleurs, plaçant ces populations traditionnellement démunies en concurrence directe avec des pêcheurs mieux équipés, dans un contexte d’accroissement de la population et de raréfaction des ressources.

Cette compétition pour la survie renforcé par le coté mal-aimé du ‘nomadisme’ (à rapprocher du Rom voleur de poules de chez nous) font qu’ils sont parfois injustement soupçonnés par les pêcheurs Bugis, qui les accusent aussi d’utiliser la magie et la sorcellerie pour appeler des vents favorables ou des monstres marins pour entrainer les pirogues à voile et arrêter les tempêtes !

Les Bajos sont marginalisés et traités comme des parias, car ils persistent à mêler des pratiques animistes à une forme plus « normalisée d’Islam » ramenée progressivement par les pèlerins de la Mecque. Aujourd’hui le terme Bajo continue à porter une connotation péjorative, inférant une extrême pauvreté et une population vivant de mendicité, un bouc émissaire idéal en quelque sorte, d’autant qu’il ne faut plus trop casser du Chinois car Pékin veille au grain (de riz, hi, hi).

Wanci – Wangi Wangi – Passar Malam (marché du soir). Les femmes se maquillent avec une poudre appelée burak ou borak fabriquée avec du riz, des algues et des épices.

Wanci – Wangi Wangi – Passar Malam (marché du soir).
Les femmes se maquillent avec une poudre appelée burak ou borak fabriquée avec du riz, des algues et des épices.

Les Bugis constituent l’ethnie la plus nombreuse de Sulawesi. Ils sont issus des flux migratoires de Taïwan et du Sud de la Mer de Chine.

L’Indonésie est placée à un carrefour de routes qui connecte la Chine et l’Occident par l’Inde et les routes du Moyen Orient. Bien avant que les Européens n’arrivent, les Bugis ont utilisés les Phinisis (schooners en bois) pour faire du commerce entre la Chine et Malacca jusqu’en Nouvelle Guinée (plumes d’oiseaux de Paradis) et Nord de l’Australie (coquillages, nids d’hirondelles, nacre). Commerçants Grands Voyageurs et mercenaires, ils ont largement participé à l’expansion de l’Islam sur laquelle nous reviendrons.

Phinisi reconverti pour des croisières dans l’archipel de Komodo. Noter le radome à l’arrière.

Phinisi reconverti pour des croisières dans l’archipel de Komodo. Noter le radome à l’arrière.


 La Protéine du Touriste

En dépit d’eaux parmi les plus riches de la planète, les ressources halieutiques s’épuisent… les boites de Thon indiquent depuis longtemps «origine Océan Indien ». Ici aussi c’est l’Indien (et un bon Indien est un Indien mort, cf Buffalo Bill).

Riung – Jukung utilisé de nuit pour la pêche aux cumi-cumi (seiches)

Riung – Jukung utilisé de nuit pour la pêche aux cumi-cumi (seiches)

Le grand bond en avant peut-être aisément tracé à l’après-guerre avec  deux facteurs principaux : antibiotiques & co (i.e. hygiène au sens large) et JiangDong qui a permis aux pêcheurs de s’affranchir des vents et courants.

[Sous le vocable de JiangDong, nous recouvrons l’ensemble des moteurs diesels marinisés de fabrication Chinoise dans la région de JiangDong au Sud du Yang Tsé  – dérivés des moteurs de tracteurs – qui sont incroyablement robustes et bruyants :

  • Monocylindres jusqu’à 30 CV
  • Démarrage manuel (volant de 8 à 10kg et décompression du cylindre)
  • Pas de boite de vitesse (on/off)
  • Refroidissement par air
  • Durée de vie supérieure à cinquante ans
  • Neuf environ 1000€… 10000€ pour un 30CV Européen]
Wanci - Wangi Wangi – Pêcheur. Il est allongé en travers de sa pirogue sans moteur, un pied est chaussé d’une palme pour la propulsion, de la main droite il écope, de la main gauche il tire un filet minuscule et plonge la tête dans l’eau avec un masque pour surveiller le fond.

Wanci – Wangi Wangi – Pêcheur.
Il est allongé en travers de sa pirogue sans moteur, un pied est chaussé d’une palme pour la propulsion, de la main droite il écope, de la main gauche il tire un filet minuscule et plonge la tête dans l’eau avec un masque pour surveiller le fond.

 

 

Bonerate – Pêcheur. Ce jour-là, après deux heures passées sur le récif, toute sa pêche se résume à trois petits anchois…

Bonerate – Pêcheur.
Ce jour-là, après deux heures passées sur le récif, toute sa pêche se résume à trois petits anchois…

Depuis trois décennies, la pression s’accroît encore avec l’apparition d’un consommateur supplémentaire (ou bien prédateur ultime c’est selon) : le touriste à qui on a promis un poisson frais par dîner et qui entend observer facilement des récifs d’une richesse exceptionnelle.

Des initiatives d’Etat visant la création de parcs nationaux avec le support des organismes internationaux, zones de biosphère reconnues  par l’UNESCO par exemple, tentent de résoudre cette problématique. Une fois les parcs créés, il suffit d’exclure la pêche intense (tout en laissant les habitants historiques continuer à prélever leurs rations journalières comme par le passé) et mettre en place une police nautique –rangers – qui patrouille et consomme du carburant.

Le financement est obtenu via les organismes internationaux susmentionnés et le recours aux investisseurs privés pour l’implantation de ‘resorts’  et la création de flottes de croisière avec leur lot de nuisances associées.

Trois types de développement coexistent :

  • des tentatives d’implantation gouvernementale caractérisées par une extrême bonne volonté visant la récupération du label et une intense défaillance de mise en œuvre (mauvais management et absence d’infrastructure comme à Tinabo Island).
Tinabo island - Atoll de Taka Bonerate – Le club de plongée.

Tinabo island – Atoll de Taka Bonerate – Le club de plongée.

  • des investissements privés visant la réalisation de bungalows luxueux dans des endroits d’exception dont la finalité réelle est de retourner du cash aux actionnaires.

Ces derniers surfent sur une contrainte supplémentaire : le touriste plongeur pour lequel il est obligatoire de préserver le récif au nom d’une biodiversité unique afin de pouvoir facturer jusqu’à 100$ la plongée…. Le joli resort de Tomia, (capitaux Suisses, management Australien/Allemand) s’enorgueillit de reverser 20$ par jour par client aux villages proches pour qu’ils ne pêchent pas (ceci afin de garder intact les récifs… et donc de rendre heureux les clients plongeurs). Cela représente 7 à 9 000 $ par mois… pas mal dirons certains qui s’ébaudissent, mais dans la réalité vraie, les habitants des villages ont comme source de protéine… le poisson qu’ils pêchent….

Les 9000 $ divisés par 5000 habitants représentent 2$…par mois par individu; est-ce suffisant pour se nourrir, peut-être en important du poulet Australien/Américain… quelque chose de faux là-dedans ?

Ah oui… et pour un peu, on oubliait : « vous reprendrez bien un peu de poisson grillé ? »

Tomia - Wakatobi resort – Coté face : luxe, calme et volupté….

Tomia – Wakatobi resort – Coté face : luxe, calme et volupté….

Tomia – Wakatobi resort – Coté pile : JiangDong, simplicité et mosquée.  Le village de Langgamau où est logée la quasi-totalité des employés du resort et leurs familles.

Tomia – Wakatobi resort – Coté pile : JiangDong, simplicité et mosquée.  Le village de Langgamau où est logée la quasi-totalité des employés du resort et leurs familles.

  • un développement anarchique et effréné d’activités touristiques diverses autour des croisières plongées et de visites aux varans, visant l’exploitation maximum des ressources comme dans le parc de Komodo.

A la pointe ouest de l’île de Flores, Labuan Bajo est un village qui a connu un développement extrêmement rapide par conversion de la petite activité de pêche locale en l’accueil de touristes plongeurs centré sur l’archipel de Komodo. En trois ans, la taille du port a doublé pour accueillir les Phinisis et le terminal international de l’aéroport est en cours d’ouverture. Dans la baie de Waecicu il n’y avait qu’une seule guest house. Depuis l’année dernière, se sont ajoutés deux resorts. Dans la rue principale, près d’une quarantaine d’officines se disputent le marché du parc créé en 1980 dans le but de protéger le ’Varanus Komodoensis’ puis étendu au patrimoine marin. Sur les sites « d’exception », pas moins de 12 bateaux au même moment croisent promettant d’observer les raies Manta et la rencontre de varans est assurée par le passage du sentier derrière les cuisines des rangers. La population de Flores attirée par les offres d’emploi vient également s’établir.

Labuan Bajo

Labuan Bajo

Mais la ville n’est pas prête et certains commencent à se préoccuper de préservation environnementale à moyen terme. C’est vrai qu’à coup de 120$ par jour d’excursion ou bien 700$ pour 4 jours/3nuits à bord d‘un Phinisi, on s’attendrait  à des infrastructures mieux adaptées que des rues en terre, ou des eaux usées se déversant dans la baie. Mais tour de passe-passe, l’argent est siphonné sans que la collectivité n’en profite.

Village dans le parc de Komodo. Environ 4000 personnes vivent dans le parc. Ils étaient 300 en 1930.Moins de 10% des enfants vont au lycée qui se trouve à Labuan Bajo. La plupart des villages dispose d’eau douce, sauf sur Mesa Island (1500 habitants), où l’approvisionnement en eau se fait par bidon à partir de Labuan Bajo.

Village dans le parc de Komodo.
Environ 4000 personnes vivent dans le parc. Ils étaient 300 en 1930.Moins de 10% des enfants vont au lycée qui se trouve à Labuan Bajo. La plupart des villages dispose d’eau douce, sauf sur Mesa Island (1500 habitants), où l’approvisionnement en eau se fait par bidon à partir de Labuan Bajo.

Salam, Dari Mana ? Beragama Apa ?

Reportage: A tiny cut

 Wangi-Wangi, capitale de la Regency (région/département) de Wakatobi ; des amis nous rapportent « une magnifique fête populaire dans un village proche ; associées à des rites de passage à l’âge adulte, ces cérémonies voyaient les jeunes filles 12/15 ans portées sur un piédestal, habillées de tuniques féeriques ; enfin un pays en voie de développement où la condition de la femme est reconnue, portée en avant….. »

Cela nous met la puce à l’oreille et on farfouille dans la doc de tourisme local (traduction honnête de noszigues):

« Kariyaa et Kansodaa:

Une fête traditionnelle célébrant  la circoncision avec de grands banquets et défilés. La cérémonie débute par des bains, purifiant les enfants de leur vie passée puis les enfants qui vont effectuer le Kariyaa sont promenés dans le village sur des Kansodaa, portés par 15 à 20 membres de chaque famille participantes en une parade vivante et colorée »

Kansodaa

Kansodaa

On imagine sans peine la joie de vivre et l’enthousiasme que doivent dégager les jeunes filles si joliment vêtues sur leurs chars car…. sous le vocable de circoncision de masse, c’est d’excision qu’il s’agit.

Localement, on parle de circoncision féminine  ou bien de « tiny cut ». Le terme adapté et reconnu internationalement est excision ou bien FGM (Female Genital Mutilation ) pour les Anglo-Saxons. Des procédés que rien, absolument rien ne peut justifier.

Sans rentrer dans les détails, l’excision recouvre une gradation de mutilations  qui vont d’une « simple » dénervation de la base du clitoris,  à l’ablation partielle ou totale du clitoris et des lèvres. A l’inverse de la circoncision masculine pour lesquels certains avantages sanitaires sont reconnus, il n’y a AUCUNE raison sanitaire justifiant l’excision, il s’agit de mutilations imposées à des enfants/jeunes adolescentes au nom de traditions socio-culturelles.

La prévalence de l’excision en Indonésie est de 86%  dont les deux tiers sont pratiqués à l’hôpital – on rêve.

Suivant les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé, le ministère de la Santé a banni la pratique en 2006 ; rétropédalage massif en 2010 sous la pression d’organisations religieuses (dont l’ « Indonesia Ulema Council ») qui sont intervenues au motif que l’interdiction de l’excision (« female circumcision ») était CONTRE les droits de l’homme et CONTRE la Sharia (tout en reconnaissant que cette pratique n’est nullement mentionnée dans le Coran) et niait les bénéfices moraux apportés par l’excision (gasp !).

En conséquence, certains hôpitaux  incluent dans leur offre de « naissance » pour fille, la vaccination, le percement d’oreilles ET le « tiny cut » ; cela génère du cash d’autant que certaines fondations Islamiques encouragent (argent ou dons matériels) les familles qui s’inscrivent dans cette démarche car, et nous nous arrêterons là sur l’aspect technique, « l’excision permet à la femme de mener une vie pure et de meilleure qualité, préserve sa dignité, la rend plus attractive pour son mari et aide à stabiliser une libido autrement explosive ». On continue de rêver à lire de telles professions de mauvaise foi, de manipulation et de langue de bois.

A tiny cut – Female circumcision in South Asia in Islamic Monthly 12 mars 2013.

A tiny cut – Female circumcision in South Asia in Islamic Monthly 12 mars 2013.

On trouve des pratiques de circoncision masculine dans nombre de sociétés, groupes ethniques, religieux ou animistes, pas chez d’autres – on peut considérer un bénéfice sanitaire passé dans la coutume; de même, les tabous par rapport au corps (tatouage, piercing, fétichisme, etc…) sont intimement liés au substrat socio-culturel local et, au vu de l’incroyable diversité de l’archipel Indonésien, tel comportement qui sera considéré la norme en un certain lieu sera inexistant ailleurs.

Par contre, selon la plupart des auteurs, la pratique de l’excision féminine est un phénomène Africain, dérivant de pratiques remontant à l’Egypte des Pharaons (d’où prévalence Soudan/Kenya & co); cela arrange tout le monde car peu conflictuel et/ou confessionnel MAIS en fait très peu d’informations sont disponibles sur les pratiques au Moyen-Orient  – mur du silence et d’autocratie  – et ce n’est que depuis peu que l’on s’intéresse à l’Asie ou que l’on mesure les prévalences en Europe dans les populations de migrants.

En ce qui concerne l’Indonésie, la pratique de l’excision féminine est restreinte aux populations Musulmanes (prévalence >94%) et exclusivement liée à la propagation de l’Islam et, à ce titre, en représente un fort marqueur (bien que la pratique ne fasse pas partie du Coran, elle a été imposée dans le passé par les Ulemas Arabes via des Fatwas, ce afin de garder un contrôle de facto de la condition féminine).

Ce n’est pas notre objet de discuter ici de la condition féminine au sein du monde Musulman pas plus que de rentrer plus avant dans les détails médicaux sordides de notre triste humanité, mais juste de rapporter combien de misères se cachent parfois sous des apparences joyeuses et à quel point le naïf touriste devient un objet de manipulation voire de cautionnement de pratiques honteuses.

[le sujet étant parfois polémique, cf quelques références en fin de post.]

 

Analyse : en quéquette de conquête

D’un mauvais goût prononcé, le sous-titre rebondit sur le reportage précédent afin de tenter d’apporter quelques éléments de réponse au questionnement sur la manière dont l’Islam a pu, sans coup férir, conquérir l’Indonésie. Même dans les lieux les plus reculés, s’il y a un hameau, il y a une mosquée. L’île de Flores est donnée de majorité Chrétienne et Animiste, or dans tous les villages le long des côtes retentit l’appel de la prière. Les autres croyances seraient reléguées à l’intérieur des terres. On en doute ; n’oublions pas qu’ici la confession doit être déclarée sur la carte d’identité et que les animistes et autres sont réputés Katholiks.

Tinabo Island – Taka Bonerate – La mosquée

Tinabo Island – Taka Bonerate – La mosquée

L’Islam fut introduit en Indonésie au 13ème siècle par des négociants Indiens originaires du Gujarat (cf Périple de la Mer Rouge), cœur de la civilisation de l’Indus. Puis, les marchands Arabes ayant, à la suite des Indiens, maitrisé la navigation ‘moussonique’ dans l’océan Indien, établissent des têtes de pont dans l’archipel et viennent à la rencontre des marchands Chinois qui eux aussi se lancent à la conquête de nouveaux territoires.

Sous la dynastie Yuan (Mongole), le commerce privé est interdit par l’Empereur dès 1300 signifiant un coup d’arrêt à l’expansion de la Chine. Les commerçants deviennent des ambassadeurs de la grandeur Chinoise et voyagent pour récupérer un tribut, témoin de l’allégeance à l’Empereur envoyé du ciel en contrepartie de grandes largesses que l’Empire offre à ses vassaux. Le plus illustre est sans doute l’amiral Zheng He, un eunuque Musulman du Nord Yunnan qui entre 1405 et 1433 explore toutes les côtes entre la mer de Chine et l’Afrique Orientale et diffuse l’Islam dans les ports du Nord de Java. A la fin de son dernier voyage, la Chine se referme et renonce à être une puissance maritime (dans l’Indonésie d’aujourd’hui la filiation Chinoise du Yunnan ou du royaume de Champa est réfutée pour revendiquer une filiation directe avec la Mecque, cœur de l’Islam ou à la rigueur Malaise, chacun sa noblesse).

Les négociants Arabes ont les coudées franches de sorte qu’à la fin du 16ème siècle, Sumatra et Java sont majoritairement Musulmanes (Aceh à la pointe Nord-Ouest de Sumatra est considérée la véranda de la Mecque), Bali Hindou, le reste en cours de conversion… Les Chrétiens vinrent troubler le jeu quelques temps, sans trop de conséquences…

De nos jours,  88% (2010) d’Indonésiens revendiquent fièrement d’être Musulman (tendance Sunnite) – cela fait tout de même 200 millions de croyants, la première population au monde…

Wanci – Wangi Wangi – Passar Malam (marché du soir).

Wanci – Wangi Wangi – Passar Malam (marché du soir).

Facteurs internes

La tradition du voyage est inscrite au cœur de l’Islam via le cinquième ‘pilier’ : l’obligation pour tout croyant de faire un pèlerinage à la Mecque. Religion de nomades, elle devient naturellement celles des marchands, celle qui permet de construire un réseau basé sur une croyance unique. Loin de la protection des esprits des ancêtres et de la maison, la religion offre une protection universelle pour tous ceux qui voyagent. On imagine de plus qu’il ait été tentant pour les voyageurs de rechercher une unité de dialogue permettant de naviguer et de faire du business dans un seul référentiel.  A tel point que l’on peut se demander si la connexion directe entre religion et ouverture d’un réseau maritime opérant n’a pas créé une incitation plus évidente à la conversion que la séduction d’une vie spirituelle intense destinée à atteindre le paradis.

La conversion à l’Islam est caractérisée par des signes formels et tangibles codifiés, d’une grande simplicité :

  • profession de foi
  • circoncision
  • adoption d’un patronyme Arabe

A mettre en regard par exemple avec les conversions au Judaïsme ou à la Chrétienté, de l’avis unanime, longues, laborieuses mais au combien passionnantes…

Par essence prosélyte, l’Islam s’assure, suivant en cela l’adage « d’une femme dans chaque port », une diffusion rapide par les enfants, fois quatre de par le nombre maximal d’épouses autorisées par la religion polygame.

Enfin, la conversion fonctionne comme l’ascenseur social par excellence, puisque les positions d’encadrement ou d’influence ne sont offertes qu’à la condition d’être Musulman…

Facteurs externes

De nature expansionniste à l’issue de sa maturation au cœur du Moyen-Orient, l’Islam se trouve bridé à l’Ouest par la fermeture progressive des terrains de jeu de l’Europe suite à la Reconquista achevée au 15ème siècle et au Sud (Afrique) par la géographie empêchant l’utilisation massive du cheval et du chameau au-delà du Sahara et du Sahel, la forêt équatoriale faisant office de barrière naturelle – le cheval et la mouche tsé-tsé ne sont pas copains.

Il reste donc le Nord (Caucase, Indus puis Asie) mais il y a compétition avec des systèmes culturels et religieux solides et l’Est par les flots (Asie du Sud-Est/Indonésie). Suivant la ligne de moindre résistance, avec les épices en ligne de mire, le Jihad s’élance vers le soleil levant, alors que les Chrétiens par haine des Musulmans et souci d’échapper aux commerçants Arabes cherchent à ouvrir des routes directes par l’Ouest, -Christophe Colomb, Magellan…-.

Quant aux potentats locaux majoritairement Hindous, ils cherchent à s’enrichir et à éviter que la manne du commerce ne soit récupérée par le voisin. Pour cela ils visent à offrir des conditions favorables aux marchands : si la condition sine qua non est la conversion, et bien va pour la conversion. Celle-ci se traduit par l’acquisition d’un nouveau statut et l’incorporation à un réseau mondial de lettrés dépositaire de la ‘Révélation’. De Rajas, ils deviennent Sultans, lisent des livres écrits en langue arabe, stimulent le développement d’états organisés comme des territoires Musulmans et acceptent de modifier des règles de vie (consommation de cochon, mariages, enterrements…) sans se défaire totalement de la mythologie Hindou. Ils réécrivent peu à peu l’Histoire pour placer les royaumes Raja sur la route de l’Islam en incorporant dans les récits de conversion le mysticisme Hindou. Le royaume de Mahajapit symbolise la quintessence du raffinement et de la particularité Javanaise. Les dieux et rois Hindous du royaume de Mahajapit loués dans les chants et pièces de théâtre deviennent des précurseurs de l’Islam. Le Raja lui-même est doté de pouvoirs surnaturels lui permettant de voler jusqu’à la Mecque et d’en revenir éclairé.

Cette tendance ‘locale’ à réinterpréter et adapter qui faisait l’originalité de l’Indonésie, disparait depuis une vingtaine d’années au fur et à mesure du retour en force des véritables pèlerins (l’Indonésie constitue le groupe le plus important de pèlerins) qui défendent une application plus stricte du dogme ; démonstration du principe de globalisation, c’en est visible jusqu’à la mutation du style des mosquées qui d’architecture simple commencent à se doter de minarets à faire pâlir d’envie un Saoudien bon ton… sans oublier toutefois que ce dernier est souvent le sponsor (caché) de ces magnifiques bâtiments….

Riung – départ à la pêche

Riung – départ à la pêche

L’outil politique : d’un totalitarisme l’autre

Malgré l’intolérance de l’Islam –soumets toi à Dieu, aucune action ne peut se dérouler hors de la loi Islamique-, son universalité –elle s’applique à tous et partout : « Celui qui change de religion, tuez-le » Bukhari 870- et son intemporalité –Mohamed a reçu la révélation ultime-, cette religion séduit par sa simplicité. Il suffit de respecter 5 principes et d’accepter que tout est déjà écrit dans le Coran.

Depuis 70 ans (date de l’indépendance), les gouvernants de l’Indonésie œuvrent pour accompagner l’ensemble de ses habitants vers l’intégration dans un monde confronté aux challenges d’une modernité qui leur a longtemps échappés. Pour un pays qui était en 1945 au bord du crash, combien de réussites notables (autosuffisance alimentaire, énergétique, progression du niveau d’éducation – une seule Lingua Franca -, distribution généralisée de fluides vitaux – eau, électricité, internet et médicaments -, pluralisme, rang dans l’économie mondiale, …) à mettre en regard de grandes défaillances (corruption, traitement des minorités, relation avec les provinces éloignées, déforestation…) ?

L’utilisation de la religion Musulmane n’est pas à négliger. Elle devient un outil politique d’intégration, de rassemblement et d’unification pour un pays éclaté culturellement et géographiquement. L’urbanisation et l’exode vers les villes diluent le tribalisme, rendant caduque la coutume à la mode mélanésienne (l’Adat) et la culture collective du clan ou du village. L’Islam recrée le confort d’un univers connu et attribue un badge reconnu d’identité et d’appartenance. Elle permet de s’appuyer sur un réseau éducatif préexistant même si inadapté par nature aux évolutions technologiques récentes  pour s’assurer d’un niveau minimum d’éducation tout en veillant qu’aucun Indonésien ne succombe à la tentation de l’athéisme ou du communisme, les pires maux de l’humanité (avis partagé par les Etats-Uniens, hi, hi).

Ennemi irréductible n°1, l’athéisme met à mal le cœur vibrant – il n’y en a qu’un et son prophète est Mohammed – qui tolère l’erreur (celle des Chrétiens, des Hindous, etc…) mais pas la négation de sa substance fédératrice. Le zéro fait peur, le vide rend libre, impossible de contrôler l’immatériel, la division par zéro ouvre l’infini, rend fou…

Ennemi irréductible n°2, le communisme (1 à 3 millions d’exécution en 1965 avec le soutien bienveillant des Etats-Unis), qui met à plat les structures de castes existantes, force l’égalité homme/femme, surtout représente un modèle de religion séculière alternatif…

Lors de la rédaction de la philosophie d’Etat (Pancasila), Soekarno s’est battu pour empêcher que le Dieu Unique ne soit cité et de faire de l’Islam une religion d’Etat. Dans l’histoire récente, certaines régions ont tenté une séparation à travers la création d’Etats Islamiques (Aceh, Sud Sulawesi) et des partis politiques ont cherché à s’imposer en incorporant la Sharia dans leur programme politique.

Ces dangers ont été ‘officiellement’ écartés et l’Indonésie s’identifie comme le modèle d’un Islam modéré appliqué à un Etat démocratique… mais dans la réalité, il ne faut pas oublier que le pouvoir central n’a trouvé d’autre monnaie d’échange pour empêcher Aceh de faire sécession que d’y autoriser la mise en pratique de la Sharia.

C’est un véritable exercice d’équilibriste auquel devra se prêter Joko Widodo, élu président en octobre 2014, la tolérance exprimée dans Pancasila apparaissant en compétition avec l’Islam, ses tendances totalitaristes et ses engagements envers Allah et Mohamed dictés dans la loi Islamique. Jokowi arrivera-t-il à préserver l’indépendance de son pays et ses voies de développement originales en dépassant le frein au progrès dont la loi Musulmane est imprégnée, l’histoire dira.

Un an et demi depuis les Galápagos et nos retrouvailles avec le grand Charles et ses pinsons, dans les prochains jours, le franchissement de la ligne Wallace (le codécouvreur de la Théorie de l’Evolution) nous permettra d’explorer les mystères de l’Indo-Pacifique… mais également de tester la pertinence de « l’intelligent design » mode Jilbab.

19 Jurassic park 6

Avec nos meilleures pensées, Santé et Sobriété,

Stéphanie / Christophe

Medana Bay – Lombok – Indonésie

21 Octobre 2015

www.yodyssey.com

 

Excision / FGM  quelques références (si possible en Français)

– Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/fr/

– UNICEF (centré sur l’Afrique) : http://www.unicef.org/french/education/57929_69881.html

– Wiki Français (définitions) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Excision

– Wiki Anglais (complet) : https://en.wikipedia.org/wiki/Prevalence_of_female_genital_mutilation_by_country

– Islamic Monthly Mars 2013 : http://theislamicmonthly.com/a-tiny-cut-female-circumcision-in-south-east-asia/

– Global Post Décembre 2013: http://www.globalpost.com/dispatches/globalpost-blogs/rights/female-genital-mutilation-southeast-asia-muslims

– Feillard Andrée, Marcoes Lies. Female Circumcision in Indonesia : To ” Islamize ” in Ceremony or Secrecy. In: Archipel. Volume 56, 1998. pp. 337-367. http://www.persee.fr/doc/arch_0044-8613_1998_num_56_1_3495

– Islam/Excision (traduction en Français d’un papier publié dans Middle East Monthy) : http://precaution.ch/wp/?p=279