Nickel Chrome

1 Igname&taro

29 avril, lancement de la Wiki, une « Kiwi race » à rebours, retour vers les tropiques.  Un peu comme dans les films d’aventure, les prisonniers ont préparé leur coup depuis longtemps, mais l’évasion n’est pas gagnée d’avance… Cadeau d’adieu des Kiwis : une météo musclée 25-30 nœuds en moyenne, d’où une traversée rapide de 6 jours vers la Nouvelle Calédonie.

En atterrissant en baie de Kuto sur l’ile des Pins, nous sommes bien contents de cette grande évasion, même si c’est se jeter dans la gueule du loup, puisque la Nouvelle Calédonie a d’abord été peuplée de convicts de droit commun afin de dé-saturer Cayenne (le taux de mortalité en Guyane était trop élevé) puis de Rouges de la Commune ainsi que les Algériens issus de la révolte Kabyle en 1870 (Caledoun).

Cette entrée dans le Territoire d’Outremer Français depuis 1853, signe pour « Yo! » la fin du monde Polynésien et ouvre la porte de la Mélanésie, le pays des Papous et des Aborigènes. C’est la dernière terre du Pacifique Sud, un monde isolé qui soigne ses particularités culturelles, sociales, institutionnelles et économiques.

500 miles dans le lagon immense qui présente un cul de sac à l’alizé de Sud-Est et donc offre des navigations « velues », deux mois à explorer le Grand Nouméa, l’archipel des Loyautés et une partie de la côte Est de la Province Nord pour découvrir une organisation sociale d’une complexité déroutante dont l’avenir dans une perspective de référendum sur la question de l’indépendance en 2018 demeure incertain.

Comme illustré dans la vidéo jointe, navigations et plongées sont un bonheur dans ce territoire du bout du monde, par contre, nombre d’hypothèques obèrent les sous-jacents socio-économiques, yeah!!!!

 

 

VOYAGE EN KANAKIE RIEUSE

La société comporte 3 groupes principaux : les Caldoches, anciens bagnards puis propriétaires terriens (mines et agriculture) ; les Kanaks, Mélanésiens autochtones ; les Métro ou Z’oreilles, les Français venus de Métropole tenter une « deuxième chance » ou engranger les primes d’expat de l’administration ; auxquels s’ajoutent des groupes plus ou moins minoritaires : les Vietnamiens engagés (en fait sous des formes de contractuelles proches de l’esclavage) au début du 20ème siècle pour exploiter les mines de Nickel puis d’immigration plus récente suite à la guerre d’Indochine et trustant la majorité des commerces, Wallisiens et Polynésiens attirés par le mirage Calédonien et Indonésiens, nouveaux immigrés employés dans les mines.

Sous une apparente mixité, ces groupes se mélangent peu, mais tous semblent trouver leur place dans un contexte d’enrichissement rapide à plus ou moins grande échelle, directement corrélé au cours du Nickel dont l’extraction concerne de près ou de loin 50% des emplois, principalement concentrés sur Nouméa qui rassemble les 2/3 de la population du Caillou.

Tous ? A l’exception de la population Kanak qui depuis les années 1970 revendique une identité qu’elle peine à trouver. Cette revendication a été portée par le chef historique du mouvement nationaliste et indépendantiste Jean-Marie Tjibaou intimement lié à l’histoire récente violente, celle de la « Tragédie d’Ouvéa » qui a abouti aux Accords de Matignon en 1988 et dont le fantôme sanctifié, continue à hanter l’organisation sociale et le devenir de l’Ile.

Le centre Tjibaou à Nouméa

Le centre Tjibaou à Nouméa

La population Kanake représente 40% de la population du territoire. Environ 2/3 vivent en tribu, le reste à Nouméa et pour 60% dans les « squats », habitations précaires situées à la périphérie de la ville. Néanmoins, l’exode en ville n’exclue pas la participation à la vie clanique et en particulier le partage des revenus avec les membres de la Tribu.

Les accords de Matignon signés en 1988 par une délégation indépendantiste menée par Jean-Marie Tjibaou et les loyalistes menée par Jacques Lafleur, sous l’égide de Michel Rocard définissent le cadre et les enjeux de la Nouvelle Calédonie d’aujourd’hui. Ceux-ci sont fondés sur un partage du pouvoir politique, grâce au découpage du territoire en 3 provinces et une stratégie volontariste de rééquilibrage économique en faveur des Kanaks. Ils ont été approuvés par un référendum national en 1988. Il était prévu d’organiser en 1998 un référendum d’auto-détermination en faveur ou non de l’indépendance.

Les accords de Nouméa signés en 1998 repoussent le référendum d’autodétermination au maximum à 2018 et organisent un transfert progressif de toutes les compétences vers le Territoire sauf la défense, la sécurité intérieure, la justice et la monnaie.

En parallèle, ces accords continuent de tolérer et même définissent l’existence d’un statut civil « coutumier » au côté du statut « civil républicain de droit commun ». En vertu de ceux-ci, les Kanaks sont dotés d’un statut personnel garanti constitutionnellement, mais ils ne sont pas des sujets de droit du Code Civil. Ils sont des sujets de la Coutume,  terme qui désigne à la fois le code oral qui régit la société Kanak (ensemble de règles, de pratiques et de rituels), l’art de vivre Mélanésien dans son ensemble et le geste de l’échange coutumier (échange de paroles et de dons). Si l’échange coutumier en dehors du cadre de la Tribu tend à disparaître même dans les Loyauté, le reste de la Coutume reste prégnant et constitue un véritable frein à l’intégration de la communauté dans le monde du 21ème siècle.

 

Le clan réuni autour d’un ancêtre commun est la base de l’organisation. Les clans se réunissent en tribus, au sein de districts coutumiers, eux-mêmes regroupés en aires coutumières. Le Territoire est découpé en huit aires coutumières, créées par les Accords de Matignon en 1988 et dont le fonctionnement institutionnel est fixé par la loi organique n°99209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle Calédonie. Les relations entre individus sont définies par le degré de parenté, l’âge, le droit d’ainesse, le régime matrimonial et marquées par une forte codification de dons et contre-dons. Toute ressemblance avec un quelconque système féodal ne serait que fortuite.

Le droit coutumier est compétent en ce qui concerne les affaires familiales, de successions ou de gestion des biens en particulier les terres coutumières qui sont déclarées « inaliénables, incessibles, incommutables et insaisissables ». Il repose sur la « Palabre », soit une discussion organisée selon les usages de la coutume Kanak et tenue sous l’autorité du chef de clan, du chef de la tribu ou du grand chef, à la demande d’individus de statut civil coutumier afin de statuer sur un litige, une demande de précision ou une requête concernant ce statut ou la propriété coutumière .

 

Bien entendu les frontières d’exercice du droit sont ténues et alimentent régulièrement les Nouvelles Calédoniennes ou le Chien Bleu, Canard Enchaîné local. De même, les autorités républicaines restent souvent discrètes.

Case de We - Lifou

Case de We – Lifou

 

 

IGNAMES ET TAROS

Ils sont considérés comme le Ying et le Yang de la culture Kanak ! L’igname (principe masculin) à la base de la nourriture Mélanésienne revêt une portée symbolique forte et reste un des éléments principaux des échanges coutumiers…. (Ah Mariette, si je pouvais mettre mon igname dans ton taro…)

Sur le chemin Kanak au centre Tjibaou.

Sur le chemin Kanak au centre Tjibaou.

 

L’objectif de la perpétuation de la Coutume au-delà des gestuelles folkloriques est d’apporter une vertu de stabilité et de continuité pour s’assurer qu’un peuple n’est pas mort. Or nous nous interrogeons sur la réalité et la vitalité de la culture Kanak stricto sensu.

Il y a quelque 60 000 ans, en plein âge de glace, l’actuelle Asie du Sud-Est et les îles de l’archipel Indonésien – Sunda- se parcouraient  quasi à pied sec, et seule une bande de mer d’environ 100 km les séparait de Sahul – combinaison de l’actuelle Australie, Tasmanie et Papouasie-Nouvelle Guinée. Le passage d’Homo Sapiens de Sunda sur Sahul est souvent daté de 40 à 60 000 ans [pour les aficionados de biologie, la séparation entre Sunda et Sahul affecte les plantes et les animaux, et constitue la ligne Wallace du nom du biologiste co-inventeur de la théorie de l’évolution]. Bref, ce furent les ancêtres des Papous, des Aborigènes et des Mélanésiens au sens large qui traversèrent le détroit, s’établissant petit à petit sur l’actuelle Australie et PNG puis colonisant les archipels vers l’Est, sans trop dépasser la longitude 160° du fait de la complexité de la navigation hauturière. A la fin de l’âge de glace, il y a 6/7000 ans, le niveau de la mer remonta, isolant les blocs ce qui engendra la diversité culturelle actuelle. La configuration de la proche Océanie était alors plus ou moins figée. Entre -2000 et -1500, une seconde étape de migration, l’extension connue sous le nom de Lapita par référence à un type de poterie, repousse les limites du domaine Austronésien jusqu’en Nouvelle Calédonie, Fidji, Samoa. [Plus tard, vers les débuts du premier millénaire, partis de Taiwan avec un stop relais identifié dans les Moluques, ceux qui vont devenir les Polynésiens roulent sur les bords du domaine Mélanésien sans trop se mélanger et finissent par atteindre Les Marquises d’où ils essaimeront pour coloniser le  continent invisible].

Les Mélanésiens de Nouvelle Calédonie de par leur isolement ne connaissaient pas l’usage du fer avant l’arrivée de Cook. Ce qui explique la « pauvreté » de l’art Kanak : l’architecture et la sculpture sont limitées à la grande case et portent essentiellement sur la représentation des ancêtres et la symbolique des clans.

Ils n’avaient pas non plus développé d’écriture propre avant l’arrivée des Européens ce qui évidement complexifie la représentation spatiale et perturbe encore l’apprentissage de la géométrie en primaire. Les dialectes, dérivés de la souche Austronésienne, n’intègrent pas le concept de passé ou de futur, ce qui gêne toute représentation temporelle et a sans doute facilité la conversion au christianisme par les missionnaires. Le premier stade de la virtualisation des échanges soit l’usage de la monnaie est de même très récent. Enfin, il n’y pas de cosmogonie et seul est imaginé un monde des Esprits duquel né l’individu et vers lequel il retourne.

 

C’est probablement l’appât du gain lié au boom du Nickel dans les années 1960, 1970 qui a mis le feu aux poudres. Face à une menace de mise en minorité par l’arrivée de « colons » et d’acculturation forcée au monde moderne, la population Kanak se réfugie dans la violence et incendie des fermes caldoches. La réponse est rapide : assassinat d’indépendantistes de la tribu de JM Tjibaou en 1984 et l’escalade se poursuit pour culminer dans la prise d’otage d’Ouvéa en 1988.

S’en suit une période d’apaisement traduite dans les accords de Matignon et qui voit le déversement d’une manne financière déraisonnable sans que les Kanaks encore prisonniers de la « Coutume » ne se sentent réellement concernés. Cela semble un compromis de paix désiré par les politiques de Métropole, entre une vision utopique des leaders Kanaks et les entreprises capitalistiques qui voit dans le Caillou un gisement rentable.

Aujourd’hui le malaise des jeunes Kanaks est perceptible. En rupture du clan ils se retrouvent projetés dans un monde d’ultra communication, sans frontières mais sans que rien ne leur soit vraiment accessible malgré les programmes « 400 cadres ».  En refus de la culture tribale, isolés, tristes, ils se réfugient dans la culture reggae dont ils ne partagent aucune racine sinon celle de rebelle paisible, le kava, le cannabis et l’alcool.

 

 

PAS SI NICKEL CHROME

 

La marina de Hienghène – un ponton, 12 bateaux. Interdit de mouiller dans la rivière... la Tribu en a décidé.

La marina de Hienghène – un ponton, 12 bateaux.
Interdit de mouiller dans la rivière… la Tribu en a décidé.

Pour lutter contre le dépeuplement des provinces et dans un souci d’apaisement après les « Evènements de 1988» le Gouvernement de Nouvelle Calédonie a mis en place le programme 400 cadres destiné à promouvoir la formation et l’insertion des Kanaks et a créé des infrastructures routes, hôpitaux, lycées, marinas… Mais cette volonté d’aider à l’autonomie est surtout illustrée dans la création de la SMSP (Société Minière du Pacifique Sud), de toute pièce avec le support maladroit de l’Etat Français, au profit de la communauté Kanake qui en est le gestionnaire. Ce n’est bien évidemment pas toujours rose, les capitaux manquent, les installations industrielles ne performent pas, les compétences sont rares mais la SMSP tourne et commence à remplir ses missions de formation, structuration de l’économie et source de fierté en un savant mélange de Coutume et roublardise…  D’aucuns sur le Caillou n’en décolèrent pas, inutile de leur jeter des Lafleur, paix à son âme.

 

Le terminal minéralier d’Ugué.

Le terminal minéralier d’Ugué.

 

Le Territoire seulement deux fois grand comme la Corse, concentre 25% des réserves mondiales de Nickel, indispensable adjuvant à la fabrication de l’acier Inoxydable bien connu et également composant indispensable aux nouvelles technologies électroniques ; bref, un métal hautement stratégique.

Vu de la station spatiale, l’exploitation du Nickel jusque dans les années 1980 s’est effectuée en grattant la terre, extrayant la Garniérite, riche en minerai, puis….. on chargeait sur des minéraliers. L’extraction du Nickel et la majeure partie de la marge était faite par l’acheteur. Un mode opératoire fruste. Les mines appartenaient à de grandes familles (Lafleur, Ballande, etc…), l’Etat et ses X-mines à travers Eramet (la maison mère de la SLN) facilitaient les choses, sans grande vision stratégique. A tel point qu’aujourd’hui une seule usine métallurgique opère en Nouvelle Calédonie sous contrôle d’Eramet, la seconde, en opération chaotique depuis 2011 est sous contrôle de Vale (géant Brésilien) et la troisième (celle de SMSP, oui, oui les Kanaks) , en construction – il s’agit du plus grand projet hydro-métallurgique au monde à ce jour –dans le Nord est sous contrôle de capitaux Canadiens.

On ne peut que s’étonner de la manière dont les intérêts particuliers de locaux et les collusions avec les ministères pantouflants conduisent à laisser les deux tiers du contrôle, tant technique que capitalistique, du minerai à des tiers. Manque de vision et d’ambition. Heureusement le contrôle de l’espace marin et son positionnement aux portes de l’Asie peut encore servir de justification à la conservation du Caillou.

 

La Nouvelle Calédonie entretient des relations ambiguës avec ses proches voisins accentuant encore son isolement. Le statut de Territoire d’Outre-mer et les flux économiques privilégiés avec l’Union Européenne et la Métropole à l’écart des échanges avec l’Australie, l’Asie ou autres pays du Pacifique par l’application de barrières douanières dissuasives pénalise l’intégration de l’ile dans la zone Pacifique. Le PIB en raison de la richesse relative apportée par l’industrie du Nickel et le nombre faible d’habitants (260 000) est proche de celui de la Nouvelle Zélande et de l’Australie. Le tourisme deuxième activité tente de capter les croisiéristes Australiens en route pour le Vanuatu, parent pauvre qui permet un exotisme et une justification humanitaire bon marché. Il y a peu d’échange avec la Polynésie Française, mais on ne peut éviter de comparer et de constater un complexe d’infériorité de Nouméa par rapport à Papeete la Flamboyante mais aujourd’hui désuète alors que la participation de la Métropole dans le PIB est de 13% (25% en Polynésie).

 

 

La baie de l’Orphelinat à Nouméa.

La baie de l’Orphelinat à Nouméa.

 

 

EN AVANT

Le Pacifique Sud, c’est fini. Alors que vont débuter les XVème jeux du Pacifique à Port Moresby sous haut contrôle sécuritaire pour détourner l’attention des Roskols, nous quittons avec tristesse mais convaincus d’y revenir pour leur douceur de vivre malgré les démonstrations de brutalité et la désolation semée par l’implémentation blanche, les myriades d’atolls et de lagons, les micros Etats convoités et rapinés par l’Australie et la Nouvelle Zélande, les nations en devenir, conscients de la disparition évidente et flagrante d’originalités culturelles inadaptées, intégrées de force aux jeux stratégiques menés par les géants de la Région.

 

Affiche à Nouméa.

Affiche à Nouméa.

 

Apres le passage du détroit de Torres, un défi en terme de navigation – mer de corail, bancs de sable, marées, courants, cargos… – et une illustration dérangeante de l’hégémonie australienne dans le partage des eaux et le traitement des minorités papous, les prochains mois sont destinées à la traversée de l’archipel Indonésien d’Est en Ouest avec l’objectif d’atteindre Singapour à la fin de l’année. Une route pour découvrir un nouveau monde densément peuplé, à majorité musulmane, engagé à fond dans son siècle, coincé entre la Chine et l’Australie.

 

Louisiades (PNG) – détroit de Torres : Juillet

Moluques : Août

Célèbes (ou Sulawesi ou pays Toraja): Septembre

Petites iles de la Sonde (Nusa Tenggara : Flores, Komodo, Sumbawa, Lombok, Bali) : Octobre

Large Java/Sumatra: Novembre

Singapour, cité du Roi Lion pour les fêtes de fin d’année

Un périple de 3 500 nm parmi 18 000 îles….

 

9 Route Indonésie

 

 

 

Avec nos meilleures pensées, Santé et Sobriété,

Stéphanie / Christophe

Nouméa – Nouvelle Calédonie

1er Juillet 2015

www.yodyssey.com