
Enchevêtrement de voies et absence de style caractéristiques du centre de Tokyo.
Conurbation la plus peuplée du monde connu (43 millions d’habitants – Shanghai est la ville la plus peuplée avec 24 millions d’habitants), mais qui peu à peu amorce sa dépopulation : les prévisions démographiques la font rétrograder à la septième place en 2050 (33 millions d’habitants, soit le niveau de 1990), ville la plus chère, ville la plus riche devant New York (PIB), ville tentaculaire, chaotique, laide, cacophonique, sans repères possibles (hors avenues, il n’y a pas de noms de rues ou de numéros) mais aussi paradoxale, fluide, sécure, disciplinée, à la pointe d’une certaine mode, présentant une profusion de formes et de signes qui perturbent constamment le regard… Les qualificatifs excessifs ne manquent pas pour décrire Tokyo qui, à elle seule, concentre le tiers de la population nippone ainsi que la quasi-totalité des pouvoirs.
Ville phœnix sans véritable urbanisme, elle renaît déjà deux fois de ses cendres au cours du XXème siècle. Ville qui vit sous une menace constante du « Big One » (le grand tremblement de terre) mais surtout d’une dégradation accélérée des conditions de confinement des particules radioactives liées à « l’accident » toujours en cours de Fukushima. Dans un contexte de déni de réalité à la limite du négationnisme entretenu par le gouvernement, les habitants s’adaptent, se résignent, feignent l’insouciance et se ruent dans les plaisirs instantanés. C’est cette forme d’amnésie collective que les bien-pensants nomment admirativement « résilience » tout en s’ébaudissant aux prouesses du Premier Ministre Abe faisant son Super Mario en vue de Tokyo 2020.

Le sanctuaire shinto Yasukuni – construit à la mémoire de ceux (soldats, civils, animaux) ayant donné leur vie au nom de l’Empereur du Japon depuis 1869.
Dans la nuit du 10 au 11 mars 1945, 1700 tonnes de bombes au phosphore, magnésium et napalm sont déversées sur la ville par les B29 du général May responsable de l’opération « Meeting house ». De ses propres mots, 100 000 personnes sont « brûlées, bouillies et cuites à morts ». Il est à noter que cette opération de massacres de civils, autant qu’à Hiroshima, n’a pas empêché le lâcher ultérieur, par les USA, des bombes nucléaires sous le motif fallacieux de hâter la fin de la guerre du Pacifique. A l’issue du bombardement, 51 % de la ville est détruite.
Le brasier rappela aux survivants du séisme du Kanto (1er septembre 1923 – 140 000 victimes) les incendies attisés par un typhon sur la mer du Japon qui détruisirent les trois quarts de la ville alors construite en bois, à l’exception du palais impérial, mystérieusement épargné.
La physionomie de la ville qui ne parait pas être construite pour durer, le chaos, la confusion, la diversité de hauteurs, de matériaux est liée à la reconstruction qui suivit, favorisée par les américains.
San Ichi Ichi (311, c’est-à-dire Mars 11 mais aussi trois en un) est le nom donné à la catastrophe de l’explosion et de la fusion des réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi le 11 mars 2011 suite à un séisme d’intensité 9 et au tsunami qui en résulta. L’accident (comme il est de bon ton de rebaptiser la catastrophe) s’est déroulé à 120km des banlieues nord de la capitale ; le gouvernement s’est interrogé sur l’opportunité d’évacuer 50 millions de personnes. Heureusement… les vents facétieux -Kamikazes au sens vrai- sauvent la situation.
Résultant d’une interprétation originale et audacieuse des seuils de protection radionucléaire avec l’accord tacite des acteurs internationaux, seulement 400 000 civils sont évacués de la zone contaminée en 2011 ; 5 ans plus tard 160 000 ne sont toujours pas rentrés chez eux, survivant péniblement en préfabriqués, nouveaux parias d’une société d’exclusion ce qui n’est pas sans rappeler la discrimination à l’égard des 300 000 hibakusha, survivants des bombes atomiques.
Une particularité du désastre de Fukushima est qu’il est exclusivement « Made in Japan » et surtout pas accidentel : choix stratégique du tout nucléaire, implantation de centrale en dépit du risque sismique afin de minimiser les coûts de refroidissement, mise en œuvre technique défaillante (choix type centrale, stockage combustible, piscine), gestion de crise mensongère qui perdure de nos jours (mise en sécurité des installations, fuites – ordre de grandeur 100 tonnes par jour – à répétition de liquides radioactifs, traitement des 900 000 m3 d’eau radioactives à fin 2015).

Shibuya vendredi soir – C’est avec Shinjuku et Roppongi un des quartiers de nuit célèbres pour leurs illuminations de néon. Pendant quelques mois au printemps 2011, tout était éteint après 22h.
Le désastre illustre la collusion entre la haute administration et les conglomérats (keiretsu) reconstitués dès 1952 et trouve ses racines fort loin dans l’histoire ou bien dans une histoire qui ne cesse d’être réécrite à petites touches.
L’invasion de la Mandchourie en 1931 : « l’incident » de Mandchourie ; le sac de Nankin en 1937 (2 à 300 000 civils exécutés) : quelques dizaines de dérapages des forces armées ; l’unité 731 (expérimentation bactériologique, 300 000 victimes) : n’existe pas ; la responsabilité de la famille Impériale dans les atrocités de guerre : aucune – merci Mac Arthur ; perdu la guerre du Pacifique : que nenni, l’utilisation d’armes « illégales » a seule arraché la capitulation; les criminels de Guerre : amnistiés dès 1952 avec la bénédiction des USA – guerre de Corée oblige.

Roppongi – Où la ville se donne encore des allures de Blade runner, film de Ridley Scott de 1982.
Plus récemment, Minamata et son mercure, Teshima et ses déchets toxiques et l’on finira de nos jours avec Mitsubishi, le gigantesque conglomérat qui contrôle entre autre : Banque of Tokyo, Asahi/Kirin brasseur, Nikkon, Nippon Oil Corp, Mitsubishi Electrics, Mitsubishi Heavy Industries (le célèbre Zéro !!) ainsi que Mitsubishi Motor qui vient d’exploser en vol suite à une fraude basique depuis 1991 sur les rapports émissions de particules de ses moteurs… sa société sœur Mitsubishi Nuclear, qui elle ne fraude pas bien évidemment, fabrique les cuves des réacteurs EPR d’Areva/EDF dont certains commencent à s’inquiéter…
Le mystère de la singularité japonaise, « the Japanese way », colonne vertébrale d’une société oppressive reste entier et presque insupportable.
Et pourtant, des îles les plus reculées de l’archipel jusqu’aux métropoles d’Osaka-Nagoya-Tokyo, cœur du pouvoir japonais, nous n’avons rencontré que des gens charmants, tout au moins ceux qui ont accepté de discuter avec nous.

La légende du grand poisson sur laquelle est posé le Japon et qui s’ébroue de temps en temps fait partie de la mythologie.
2011 : 21 février, séisme de Christchurch (NZ), 11 mars, séisme de Fukushima (JP).
2016 : 13 novembre, séisme de Kaikoura (NZ), 21 novembre, séisme au large de Fukushima (JP)
Corrélation n’implique pas causalité… le dragon a bon dos.
En complément pour les curieux un album photo plus détaillé :
https://goo.gl/photos/FyTwo5ABK86sYoi19
Et en vidéo, le carrefour des benêts :
De wa mata,
Stéphanie / Christophe
Paris 10 décembre 2016
Comment accepter que le rêve japonais ne soit que chimère?