Wasabi ? Non. Wabi-sabi

Sculpture à l’entrée du Shotengai d’Onomichi. Shotengai : galeries de magasins du centre-ville présentes dans la majorité des villes japonaises aujourd’hui remarquables par leurs produits « vintage » et qui connaissent un déclin certain.

Sculpture à l’entrée du Shotengai d’Onomichi.
Shotengai : galeries de magasins du centre-ville présentes dans la majorité des villes japonaises aujourd’hui remarquables par leurs produits « vintage » et qui connaissent un déclin certain.

Cette sculpture exprime très simplement les contradictions de la société Japonaise actuelle telles que nous les avons perçues dans cette ville du bord de la mer intérieure et dans les iles environnantes. La jeune fille porte un kimono mais sa coiffure légèrement ondulée n’est pas japonaise. Elle voyage seule, ce qui ne traduit pas le manque d’émancipation encore aujourd’hui de la femme japonaise, ni l’aversion au risque, ni le rejet de la différence. Posée au bord de la route, sans mise en valeur, cette sculpture mate, patinée, de couleur rouille s’inscrit dans un des concepts clés de l’esthétique japonaise : Wabi-Sabi.

Le Wabi-Sabi célèbre l’art de l’imperfection, de l’impermanence et de l’incomplétude. Trouvant sa justification dans une forme dévoyée du bouddhisme, le Wabi-Sabi accorde une valeur méditative aux objets les plus simples et vise à révéler, même dans ce qui à première vue parait laid et décrépit, l’esthétique du quotidien marqué par l’usure du temps et des éléments, affirmant l’intégrité des choses naturelles par opposition à la perfection manufacturée.

Les caractéristiques de cette esthétique incluent l’asymétrie, l’irrégularité, la simplicité, l’économie et l’austérité. Par le choix de matériaux bruts attestant l’altération par le temps, elle transmet des émotions de mélancolie, tristesse et solitude. Ce principe a été porté à la fascination de l’Occident dans l’essai de Junchiro Tanizaki : « Eloge de l’ombre ». Publié en 1933, la relecture récente nous a laissé comme un arrière-goût de cendres.

Le clair-obscur, le culte de la mélancolie, le rappel du temps qui passe ne sont pas l’apanage des artistes japonais. L’Europe peut s’enorgueillir du Caravage, de Verlaine et les natures mortes rappellent très bien dans l’instabilité des objets qu’elles exposent l’impermanence (carpe diem). Au XXème  siècle l’Arte Povera minimaliste a instauré un dialogue entre l’excès et le vide. Cette alternance est ici absente.

 

Onomichi – le long de la balade des temples

Onomichi – le long de la balade des temples

Depuis trois mois, nous avons exploré l’archipel des Ryükyü, l’île de Kyushu et maintenant  les trois quarts de la Seto Naikai (la mer intérieure), 20% de la superficie du Japon pour 20% de la population ; est-ce représentatif ?

Parcourant les villes et villages, à la recherche de l’esthétique japonaise, nous avons observé un goût exacerbé pour les choses vieillissantes et l’accumulation d’objets périmés, des maisons laissées à l’abandon, des éléments rouillés, des bois sombres, des pièces sans clarté. Au contraire d’un sentiment d’apaisement, s’expriment une grande désolation, la renonciation, la solitude, la pauvreté, le repli sur soi, la souffrance.

 

Sur le port de Miyaura – Omishima

Sur le port de Miyaura – Omishima

Dans ces lieux, il semble que le goût pour la nostalgie d’un temps révolu et ces vies enfouies résultent d’un consensus social. Déjà, aux 19ème  et 20ème siècles, une majeure partie des traditions (culte de l’empereur, règles de sumo, étiquette…) a été tardivement codifiée par les élites à fin de  forger l’identité nationale dans le cadre d’une société qui, à marche forcée, embrassait la révolution industrielle sous influence Occidentale. Aujourd’hui, la préservation de ces décors figés depuis 30 ans, permet de garantir l’équilibre d’une société profondément inégalitaire (hommes/femmes – Vieux/Jeunes – Nantis / Pauvres).

La culture du particularisme et de la différence japonaise conduit à un très fort nationalisme fédérateur (« We, Japanese… )  qui semble facilement dégénérer  en xénophobie. Les entreprises étrangères ne peuvent que difficilement exister sans passer sous les fourches caudines d’un partenaire solide. Peu d’objets sont directement importés, ils subissent une transformation souvent minime mais qui permet l’appropriation où sont simplement introuvables (riz basmati). [Exception notable : la gamme Apple que le Japon n’a pas réussi à cloner en temps et en heure].

 

Onomichi – Spleen de 7h30 à l’embarquement du ferry pour aller au collège, 8h-16h en moyenne….et les quasi-obligatoires cours du soir au-delà.

Onomichi – Spleen de 7h30 à l’embarquement du ferry pour aller au lycée, 8h-16h en moyenne….et les quasi-obligatoires cours du soir au-delà.

Apanage d’une société assise sur le culte des ancêtres, le concept de Wabi-sabi justifie une économie fondée sur le recyclage et le saccage de la nature telle qu’il a été pratiqué avec systématisme sur toutes les rives de la mer intérieure ; il en découle une austérité imposée comme mode de vie qui permet d’éliminer l’expression de toute créativité et prive l’individu de la recherche du plaisir autrement que par de complexes jeux de constructions mentales.

Le Wabi-sabi  préserve la notion de vague et d’ambigu dans les communications entre individus, enfermés dans le respect des codes et lois du groupe, et favorise le goût du mystère qui trouve son aboutissement dans le maintien du culte Shinto : un syncrétisme pour certains, l’expression profonde de la culture ancienne des Japonais pour d’autres, première religion animiste dans le monde de par le nombre de pratiquants bien loin devant le Congo.

 

Amer bassin que la mer intérieure, vide de poissons, vide de gens, vide de sens, légèrement désabusés nous plaçons de grands espoirs dans l’exploration à venir des mégalopoles, de ces  8% de territoire qui abritent 45% de la population, peut-être y découvrirons-nous le « vrai » Japon, celui de la mutation postindustrielle?

 

Onomichi – Walk on the wild side? No way.

Onomichi – Walk on the wild side? No way.

 

En complément pour les curieux deux albums photo plus détaillés :

https://goo.gl/photos/x95QmHV9nLD4byGH8

https://goo.gl/photos/WjhGN1jt7oAr79e67

Et (bonus !)  un mini film, balade en vélo sur le Shimanami Kaido, la plus belle piste cyclable du pays : https://youtu.be/7zgcppSq3fU

 

De wa mata,

Stéphanie / Christophe

Onomichi – Seto Naikai

20 septembre 2016, MALAKAS, 18ème système cyclonique de la saison s’atténue au-dessus de nos têtes…

2 thoughts on “Wasabi ? Non. Wabi-sabi

  1. Merci pour cette belle promenade au pays du temps gris avant d’être celui du soleil levant. Comme la “mornitude” des paysages et de l’urbanisme nippon rejoint vos commentaires sur les caractéristiques majoritairement tristounettes de ce pays sérieux, collectif, fataliste et enraciné dans ses traditions ! Beau voyage, belles photos originales, bravo…..

  2. Poulala je suis vraiment déçue!
    Vous canardez une de mes rêveries avec le Wabi-sabi. Heureusement j’en apprends beaucoup plus que ces rêveries ne me laissaient imaginer. Je suis étonnée de lire que ce concept justifie (une économie fondée sur le recyclage et) “le saccage de la nature” je croyais au contraire qu’il amenait à la respecter.
    Continuez de me faire voyager et surtout, de vivre libres, je vous embrasse

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