
Entrée de False Creek, cœur de Vancouver, l’ancienne zone industrielle est reconvertie en quartiers résidentiels ; toute ? non, la cimenterie s’accroche et les camions toupies traquent les touristes apeurés.
Pour rallier Victoria puis Vancouver, à l’issue de l’escapade japonaise, « Yo ! » a emprunté le Chenal Juan de Fuca. Ouvert sur le Pacifique, il établit la frontière entre la Colombie Britannique – Canada au Nord et l’Etat de Washington – USA au Sud.
Dans les grands territoires sous peuplés de l’Amérique du Nord, pour des Etats récents –le Canada célèbre cette année les 150 ans de sa création-, cette frontière demeure en grande partie fictive. Bien que les Etats-Unis aient renoncé à annexer le territoire canadien depuis la fin du XIXème siècle, l’interdépendance économique et financière pour la mise en valeur des ressources naturelles et l’aménagement des territoires est très forte ; pour preuve, le groupement de la population -35 millions d’habitants- le long de la frontière, de l‘Atlantique au Pacifique.
Cette démarcation parvient tout juste à singulariser une confédération encore assujettie à sa Majesté la Reine d’Angleterre. Les liens culturels avec le Commonwealth restent forts en dépit du rapatriement de la Constitution en 1982 qui instaure la pleine indépendance vis-à-vis de Londres. Le surnom de la Colombie Britannique n’est-il pas BBC -Beautiful British Columbia- ?
La similitude avec la Nouvelle Zélande est flagrante, illustrée par la même exploitation éhontée des ressources : denrées minières, poissons –les étals ne proposent que du saumon ou du flétan congelé-, bois –alors que l’année 2017 affiche un record de nombre et de violence des feux de forêts -, population – les « natives » repoussés au plus proche du cercle arctique ne représentant que 1.5% de la population globale- et même hypocrisie quant à la protection de l’environnement : éradication des possums pour la préservation des kiwis d’un côté et promotion des orques résidents pour la satisfaction des touristes de l’autre, rotation sans fin des hydravions, feux d’artifices gigantesques sous alerte pollution, ou plus prosaïquement accueil très mitigé d’une troupe de théâtre –Caravan- dont le spectacle –Nomadic Tempest- a pour objet d’alerter sur le dérèglement climatique et le sort des migrants.

Vancouver – Le mouillage de False Creek et BCD. C’est l’été, ambiance feux de forêts.
Vancouver fait partie de la mégalopole du Nord-Ouest Pacifique. Alors que Seattle est le siège de Boeing et d’Amazon, Vancouver s’est spécialisé dans l’industrie forestière et papetière et la redistribution de denrées en provenance du Japon par voies maritimes. Le port est le plus actif de la côte Ouest de l’Amérique du Nord – 33ème rang mondial loin devant Los Angeles. Aujourd’hui, grâce à son climat relativement doux et peu humide la ville attire les riches retraités des états centraux, et l’image projetée de ville moderne (urbanisme récent conçu pour l’exposition universelle de 1986 et les Jeux Olympiques de 2010) et séduisante (Granville, le plus beau marché d’Amérique du Nord – même pas un demi Victor Hugo Toulousain) attire de nombreux touristes.

Totems au musée de Victoria
De l’autre côté du Chenal à l’extrémité Nord-Ouest de l’Etat de Washington se trouve le port de pêche de Neah Bay, dans la réserve indienne de la tribu Makah. Tout comme les Nitinat qui vivaient au sud de l’ile de Vancouver, ce sont des Nootka et essentiellement des chasseurs de baleines. Ils ont subi la même politique d’assimilation forcée qui se décline en deux lignes principales :
(i) la loi de lotissement qui eut pour résultat de diminuer des deux tiers les terres indiennes entre 1887 et 1931, de s’accaparer des ressources, d’usurper les droits de pêche et de fixer les Indiens dans des réserves au statut juridique spécial ;
(ii) l’éducation des enfants dans le but de faire disparaitre tout ce qui était indien sans donner aucune chance d’adaptation progressive des tribus au mode de vie « Wasp » (white, anglo-saxon, protestant).
La politique favorisant l’immigration vers les villes par la fourniture d’une formation minimale et d’un logement a souvent aboutit à la création de ghettos générateurs de comportements déviants (alcool et drogues) et violents et où les problèmes de santé restent prédominants. Les efforts récents de développement des réserves par subventions -le port de Neah Bay en est un exemple- ou les initiatives d’Obama -premier président à se réintéresser à la question indienne depuis Clinton- n’ont pas permis de réduire les syndromes de discrimination : un taux de chômage deux fois plus élevé que la moyenne nationale, un taux de pauvreté de 39% dans les réserves à comparer à 25% parmi la population noire et à 9% parmi la population blanche (le niveau Européen…) et une espérance de vie de 71 ans de 6 ans inférieure à la moyenne des USA, qui n’est déjà pas très élevée par rapport aux standards Européens ou Asiatiques….

Tag à Vancouver
Il est attendu que Vancouver, ville moderne de type américain qui cherche à valoriser son centre-ville par des boutiques branchées, fasse côtoyer le pire et la plus arrogante hipsterisation d’un bloc à l’autre. L’existence d’une législation libérale quant à la prolifération de medijuana ou dispensaires spécialisés où aucune ordonnance n’est exigée et l’odeur persistante de « pot » laisse imaginer une ville « cool ». Mais rien ne permet de concevoir DTES -DownTown EastSide Vancouver- traversé par East Hastings Street: une rue au bord de Gastown et du quartier chinois où en plein après-midi un jour de semaine, des individus se fixent à la vue de tous, vendent leurs dernières possessions, sont étendus sans mouvement sur les trottoirs, où des filles ravagées traînent devant des hôtels borgnes ou des squats et où la même poubelle est fouillée plusieurs fois.
Il ne faut pas longtemps pour comprendre que la « crise des opiacés » comme on l’appelle ici ne concerne pas que les US mais également la Colombie Britannique : 1000 Overdose (OD) l’année dernière, probablement aux environs de 1500 pour 2017, 25 000 inversées par l’utilisation de kits de naloxone.
Enchaînement identifié pour l’Amérique du Nord: sur-prescription de patch anti-douleurs morphiniques depuis 20 ans (en théorie sans accoutumance selon les publications des labos) par des médecins à la main leste (7000 prescription par jour dans l’Utah pour 3 millions d’habitants) puis bascule des consommateurs « accros » dans la rue i.e. le marché libre.
L’héroïne ne suffisant plus, des mélanges améliorés sont mis à disposition à base de Fentanyl (dérivé morphinique de synthèse) 5000 fois plus puissant que la morphine, voire même depuis quelques temps avec du Carfentanyl qu’on utilise plutôt pour endormir les éléphants. Du coup les dosages deviennent délicats d’où le nombre incroyable d’overdoses : 65000 pour les USA en 2016, c’est devenu la cause principale de décès des moins de 50 ans, loin devant les accidents de la route ou les armes à feu, quelle ironie. Les victimes sont tout autant des junkies que des personnes « accros » parce qu’ayant eu recours à des antalgiques suite à un accident, principalement des blancs et cela commence à coincer aux entournures.
Quelques discussions avec les locaux montrent que la position est loin d’être claire : « Surement une conspiration de la Chine ou du Pérou, à moins que ce ne soit venu des iles Samoa. Mais non, nous ne pouvons pas être responsables. Ni nos médecins, ni nos laboratoires pharmaceutiques ne sont en cause…Non, c’est impossible. »

Downtown Vancouver
En complément pour les curieux un album photo plus détaillé : https://photos.app.goo.gl/eFfPw1KqaoOTgls92
Et en vidéo, les braillards de Neah Bay : https://youtu.be/j9f51nyWHJk
Stéphanie / Christophe
San Diego – Californie – 31 octobre 2017