The Kiwi Race

Propos liminaire

Ce post clôt la pentalogie Polynésienne, des Marquises, épicentre des premiers peuplements du continent invisible, passant par les Tuamotu, la Société, les Tonga jusqu’au Pays du Grand Nuage Blanc (Aotearoa i.e. Kiwiland) où s’implantèrent tardivement (14ème siècle) les plus aventureux et très guerriers des Polynésiens, les Maoris.

Dès le début du 19ème siècle, les Maoris avec beaucoup d’élégance, de grâce et de persévérance firent en sorte de s’autodétruire comme par accident, quittèrent leurs habitats ancestraux (favorisant la création de nombreux sites archéologiques propres à visite touristique), abandonnèrent les éléments clés de leur culture et firent ainsi place nette à quatre millions de sujets de la Reine et leurs vingt-quatre millions d’ovins.

Nous ne saluerons jamais assez une telle grandeur d’âme, mais revenons à nos moutons :

1 Shrek the sheep Un peu surpris par les autochtones…

 

Un peu d’ouest mais pas trop.

En hommage à Bob Marley et sa Rat Race, nous sommes entrés dans la Kiwi Race (Neiafu Tonga – Opua Nouvelle Zélande) le Samedi 1er Novembre vers 11:00. Nos préparatifs étaient dignes de la Route du Rhum qui s’élançait en fanfare : carène parfaite (en prévision de la réception de la quarantaine kiwi), avitaillement (pas trop parce qu’en arrivant tout le périssable est jeté par les mêmes), configuration en mode coup de vent car cette traversée a mauvaise réputation et révision des stratégies météo.

Les navigateurs traversant cette partie du Pacifique Sud à la fin de l’hiver cherchent à se faufiler entre deux coups de vent d’Ouest  (tous les 5/6 jours pour une traversée moyenne de 8/10 jours), leur virulence augmentant avec l’approche de la pointe Nord du Kiwiland (35°Sud).

Les skippers consultent moult oracles et se rassurent en écoutant respectueusement les commentaires des gurus des services météorologiques. Ils regardent donc qu’il n’y ait pas de SPCZ (sorte de pot au noir local) sur la zone de départ, que le jour prévu d’atterrissage en Nouvelle Zélande ne soit pas concomitant avec l’arrivée d’un front et des vents dans le nez et qu’il n’y ait pas de forte houle ni de coups de vents anticipés sur la route. En temps normal, il est recommandé en quittant les Tonga de continuer à tirer vers l’Ouest jusqu’à atteindre la longitude d’Auckland en s’arrêtant à Minerva Reef (un autre lagon au milieu de nulle part), puis de plonger plein Sud, emmené par le vent du Nord précédent la prochaine dépression.

C’est comme ça, la plupart du temps, mais ce n’est pas du tout ce que nous avons fait et nous avons TRES bien fait. Cette traversée rapide (9 jours) s’est transformée en chevauchée à l’avant d’une dépression qui a fermé la fenêtre de la traversée pour 15 jours (en témoignent les 100 bateaux attendus à Opua – Baie des Iles-  la dernière semaine de novembre).

2 grib 01 nov - 01 nov    Fichier météo du 1er novembre : une large zone de hautes pressions est en place entre les Fiji et la Nouvelle Zélande. A surveiller : le Nord de la zone.

 Samedi 1er novembre, tout est en ligne (pas de SPCZ, pas de coup de vent prévu, pas de forte houle). Dans le bulletin du dimanche 2 est juste évoquée la possibilité de formation d’un front tropical entre les Fiji et la Nouvelle Zélande qui pourrait provoquer quelques averses et renforcer les vents d’EST au nord de la Nouvelle Zélande et ainsi occasionner un passage rapide à condition de respecter la route orthodromique (directe) ; il n’en faut pas moins pour mettre en éveil la vigilance extrême du raton-laveur.

Les extraits du livre de bord suivants en témoignent.

2 novembre :

Kiwi race c’est parti !

Quitté Vav’u par Hunga Nord puis balade volcanique avec à tribord le joli cône du volcan Late, quelques miles plus loin les volcans submergés et celui bien visible de Tofua.  Au bord de la Tonga trench, perché sur le rift, les Tonga connaissent une vie volcanique intense, les feux de Madame Bovary paraîtraient bien pâles en comparaison. Ainsi l’ile de Fonuafo’ou au large de Tongatapu apparait et disparait, peut-être à volonté, on ne connait pas très bien sa psychologie. C’est en fait un volcan sous-marin qui alterne entre quelques mètres au-dessus de la mer suite à poussée éruptive puis s’enfonce soumis à l’érosion des vagues (le cauchemar du géographe et du marin: “si, si, je vous dis il y avait quelque chose – meuh non, faut arrêter de picoler mon bon monsieur”). Pour notre frêle esquif, ces montagnes sur et sous l’eau génèrent une mer encore plus croisée qu’un aller/retour à Jérusalem.

Depuis hier soir grand-voile 1 ris puis 2 et génois enroulé 2 points : E / ESE 6/7 et creux de 2/3 mètres, comme d’habitude, harnachés, cirés, gilets on encaisse les bassines d’eau, salés à souhait. Vite, vite, toujours en direction du récif de la chouette. Pas besoin de Prozac, on enchaine les “high” sous speed. En attente du point météo du jour où on affinera les options, on voudrait bien gérer la descente.

3 novembre :

Révision des options météo : on ne s’arrêtera pas à Minerva Reef, l’OM vaincra “Droit au but”; on va essayer d’atterrir chez Kiwis avant qu’une méchante dépression ne pointe son nez, il y en a une qui se met en place sur la Tasmanie à partir du 8 novembre, elle sera sur Opua vers le 10/11… alors on fonce.

4 novembre :

Nous continuons l’option sud, pour tenter de maximiser la route dans des zones de vent et arriver avant de subir les effets désagréables d’une dépression tropicale qui, bloquée par la zone de haute pression sur la Nouvelle Zélande, sera sur Minerva Reef début de semaine prochaine. Une situation météo peu fréquente mais identifiée.

Pour nous, il s’agit de passer le plus vite possible au-delà des 32° Sud où les effets de la chose seront faibles, on ne tient pas trop à jouer dans des creux de 4 mètres.

 3 kiwi race spi 2

5 novembre :

Depuis ce matin, grand-voile haute et spi tangonné. N 3/4. Plein vent arrière.

On continue dans les anti-dep :

                – fuite devant la dépression qui est annoncée pour la fin de la semaine, centrée sur 24 S 20 – 178 E 34 (dimanche milieu de journée) puis qui s’évacue vers l’est. L’objectif est de descendre sous les 30°S avant dimanche pour minimiser ses effets peu plaisants.

                – lutte contre la pétole totale d’où envoi du spi (au moins un peu de couleurs dans la grisaille ambiante) pour arracher mile après mile. A la vitesse de 3 kts, c’est pas gagné.

 4 grib 06 nov - 10 nov

Fichier météo du 6 novembre, prévision au 10 novembre. La dépression a pris naissance sur le bord équatorial des hautes pressions. Les vents attendus sont supérieurs à 30knts (rafales à 50 knts) et les creux sur Minerva Reef de 4 mètres.

7 novembre :

Yodliho, hier à 14h on a foncé tout à angle droit dans la zone de convergence que l’on pistait depuis 2 jours, noire, menaçante, off course pluvieuse, le regard noir d’un percepteur mâtiné de l’amabilité d’un concierge. Nous resterons pudiques sur la turgescence ascensionnelle mais de gaudriole il ne fut point question… ceci étant, on a bien joué. Entré dans la chose avec du vent de Nord moyen, on en est ressorti quasi illico presto, expulsés genre demandeur d’asile à Nice, avec 25kts de Sud dans le nez, la mer blanche… On avait beau s’y attendre, ça fait un choc lorsque l’on sait que l’on a encore une longue route devant soi et que le zébulon est dans le nez… Il faut une dose de sérénité, de détachement, de pugnacité pour remettre l’ouvrage sur le métier et mile après mile forcer contre le vent l’accès du paradis Kiwi. Mahomet n’a pas eu ce problème, lui. C’est pas juste, il était prophète en son pays, ceci étant, pas sûr qu’il ait été accueilli à bras ouvert chez les Kiwis; on verra sur place si notre demande d’ouverture d’une maison de prière est acceptée. Donc plutôt une approche Bouddhiste dans la gestion du vent debout, appuyée sur la connaissance des mystères sacrés dont le célèbre “la roue tourne”, genre mantra qui  conforte dans le fait qu’à plus ou moins brève échéance, la bascule se fait du Sud à l’Est par le Sud-Est. On a quand même convié Athéna et la Vierge Marie (une seule et même personne paraît-t-il mais à des époques différentes) à intercéder en notre faveur auprès des Dieux car les températures quasi polaires (il fait moins de 20° dans le bato) restreignent nos capacités cognitives et nous ne voudrions par pêcher par omission (dans ce contexte et compte tenu de la mer formée, nous avons relevé la ligne).

Soleil rouge ce matin et près serré, grand-voile 1 ris et génois SE 5/6. En attente d’une nouvelle bascule ESE en fin de journée qui devrait permettre d’être bon plein et ainsi de moins giter et zorber* dans les vagues.

Zorber* : un passetemps Kiwi qui consiste à se laisser rouler en bas d’une colline enfermé dans une balle en plastique.

8 novembre :

Météo plus clémente avec le passage sous la latitude “maléfique” des 30°. Mer belle, vent 4 à 5 Beaufort d’Est/Sud-Est, nous filons en route droite sur Opua plus ou moins toilés selon la force et l’angle du vent, les manœuvres sont tranquilles. Bien sûr, la contrepartie est une vitesse un tantinet poussive (aux alentours de 5kts) mais quelle tranquillité après les aventures de ces jours derniers. Le soleil brille, nous retrouvons des luminosités proches de la Méditerranée un jour de Mistral mais un Mistral hivernal car les températures nous rendent malheureux, le choc thermique est si fort que l’on se demande si nous n’allons pas mettre cap au Nord-Ouest afin de rejoindre Nouméa; ce ne serait pas raisonnable certes et nous sommes si raisonnables….

 5 Opua marina 2

Q dock à la marina d’Opua.

10 novembre :

Bon, ben voilà, on est arrivé ce matin dans la Baie des Iles accompagnés par les dauphins. Genre téléportation au pays des courgettes, jolis paysages, verdoyants, frais, les fish&chips, l’Angleterre quoi.

Tout le monde n’a pas géré la dépression tropicale de la même manière:

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Ce bateau canadien a rencontré un peu de vent sur la route… “pour ceux que le système a attrapé, le moyen le plus rapide de sortir d’une dépression en rotation forte dans l’hémisphère Sud est de se mettre bâbord amure vent de travers et d’essayer de sortir du système ce qui devrait vous amener sur l’Ouest en attente de la nouvelle haute pression.”

Une navigation « bretonne ».

Depuis quelques semaines, nous nous offrons une flânerie imprévue dans la Baie des Iles, considérée comme le plus beau bassin de croisière de Nouvelle Zélande. Bien sur certains parleront de l’Ile du Sud, ses fjords et ses glaciers. Mais nous n’ambitionnons pas d’y aller : coups de vent continus d’Est et d’Ouest, forts courants, mouillages profonds avec de délicieux catabatiques, températures polaires, mouches de sable et énormes moustiques…sans compter une pluviométrie hors norme.

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Motuarohia island ou Roberton Island

La Baie des Iles est un haut lieu de l’histoire locale.

Peuplée il y a 600 ans par les explorateurs Maoris, elle accueillit l’Endaveour du Captain Cook, premier navire Européen à y mouiller.

Il fut suivi par le corsaire malouin Marion Dufresne qui n’a pas dû la trouver très romantique puisqu’il y passa à la casserole (littéralement) sauf la tête et les mains qui furent retrouvées. Après avoir piqué en fraude des plans de cannelle aux Hollandais dans les îles de la Sonde, Marion Dufresne était à la recherche du continent austral (un genre de dahu pour les géographes) lorsqu’il atterrit en NZ; il fut bien accueilli par les Maoris, mais on suppose qu’à son départ, la baie a été décrétée Tabou (interdite) par les autorités religieuses à moins qu’un matelot de Marion n’ait commis quelque indélicatesse. Toujours est-il qu’empétagué dans le brouillard, les deux navires de Marion se sont percutés et il fit demi-tour pour réparer le beaupré de l’un. Descendu à terre avec compagnie afin de chercher un tronc adéquate, il ne revint pas…

Il est amusant de noter qu’une mésaventure (doux euphémisme) similaire arriva au Captain Cook, à Hawaï cette fois, débarqué une première fois sans souci, la seconde lui fut fatale, idem il ne resta que tête et mains. Peut-être y avait-il une tolérance d’ “une fois” par les Polynésiens?

A partir de là, le coin fût envahi par les chasseurs de baleine de si mauvaise réputation que Russel (la capitale) était considéré comme le trou de l’enfer du Pacifique Sud. Puis lorsque la Nouvelle Zélande fut incorporée à la Couronne Britannique, le traité qui établit la souveraineté de la Couronne (ça dépend de quel côté on regarde : Gibi ou Maori) fut signé à Waitangi, juste dans la Baie ; à trois mois près, les Maoris auraient signé avec les Français…. leur avenir en aurait été très différent, beaucoup plus sympa au vu de notre expérience en Polynésie Française.

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Urupukapuka island – Baie des Iles

Le dernier épisode du premier tome Go West. 

On va se reposer un peu, de cette navigation certes mais aussi de tout le reste. La Nouvelle Zélande est une étape importante dans notre long parcours, la première fois que l’on se pose longtemps après avoir navigué depuis plus d’un an sans vraiment de pause. Entrés dans les tropiques par le Nord, nous en sommes sortis par le Sud, partis plein Ouest de Greenwich, nous sommes à l’Est et tout cela sans avoir de trop perdu la tête (juste un jour).

465 jours depuis le 3 Août 2013 dont 115 de navigation pour faire environ 15000nm, 10 fois le pavillon Q dans la mature, une quinzaine de rayons verts, des graupels à la pelle, des grains par seaux entiers, quelques sauciThon, 60 litres de rhum, 600 litres de gasoil, 6 000 requins, 6 baleines (facteur d’échelle), 80 points navigation…

C’est beaucoup; le “Yo!” est en forme et l’équipage heureux.

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Ce post est le dernier épisode du premier tome de la Saga Yodyssey: « Go West ». Ce premier tome sera tout prochainement disponible sur le bologue pour télécharger et faire imprimer… un fabuleux  cadeau de Noël.

La publication reprend Avril/Mai prochain, pour nous amener du Kiwiland à Singapour en passant par la Nouvelle Calédonie, la Papouasie, l’Indonésie… la mer de Corail, le détroit de Tores, la mer d’Arafura, les Moluques… bref que du rêve…

Avec nos meilleures pensées, Santé et Sobriété,

Stéphanie / Christophe

Baie des Iles – Nouvelle Zélande

30 novembre 2014

www.yodyssey.com