En vert et Captation

Shelter Bay – Colon – Panama

 

Descente aux enfers par la face ouest : l’Amérique Centrale. C’est la fin de la boucle Pacifique, les portes des écluses de Panama ouvertes il y a 4 ans sont closes. Avant de reprendre les routes Atlantique, le passage sans escale du Chiapas à Panama est l’occasion de dresser un bilan sans concession des marches de l’Empire.

 

 

 

Peten – Guatemala, Chiapas – Mexique, il y a toujours quelqu’un encore plus au Sud, encore plus pauvre, à exploiter.  Le Guatemala, épicentre de la culture Maya qui s’épanouissait dans la jungle, reste le pays des pôvres indiens auxquels les pillards successifs ne laissent aucune chance. Cortes en arrivant n’a eu qu’à ramasser les miettes dorées des royaumes sur le déclin. Il installe un système foncier où dominent les colons et où les indiens sont asservis. Ce système va perdurer jusqu’au 21ème siècle. Après la seconde guerre mondiale, la United Fruit Company prend la main sur la structure de pouvoir, adoubée par la CIA. Lorsqu’une rébellion marxiste éclate sous la forme d’une guérilla, la guerre civile prend une forme unilatérale : les gauchistes mal armés contre des professionnels formés et financés par les “programmes d’aides USA”. C’est un carnage : plus de 150 000 personnes tuées et 40 000 disparues. Les USA justifient cette intervention par la nécessité d’écraser la menace communiste et éviter le risque de contamination du Mexique.

Aujourd’hui, la frontière est le territoire des Zetas, cartel Mexicain qui utilise les terres du Guatemala pour faire transiter la coke de Colombie vers le Mexique, recrute les anciens militaires formés par les USA pour son armée et s’est diversifié dans les activités d’enlèvements et d’extorsions en particulier des migrants d’Amérique centrale, d’Asie centrale ou d’Afrique tentés par le passage vers l’Amérique et considérés comme une marchandise d’une valeur d’une centaine de dollars.

Tristes, tristes Amériques.

 

Jungle

 

 

Le Salvador, toujours en recovery depuis les escadrons de la mort et la fin des guerres civiles présente également quelques pitreries d’histoire récente. Dans les années 80, les campesinos plus quelques prêtres, étudiants et syndicats de travailleurs ont l’outrecuidance de réclamer une réforme agraire. Les possédants -environ 2% de la population- investissent dans des milices d’extrême droite financées et armées par les USA toujours sous le prétexte de combattre les insurgés communistes. Ces milices, au top de la communication par l’exemple, déchargent les cadavres des disparus et les têtes tranchées sur le bord de la route pour de simples leçons d’instruction civique. Les insurgés ne sont pas en reste et se financent par les enlèvements et le racket. A l’issue, le pays est un véritable charnier : sur 5 millions d’habitants, 750 000 morts, 1 million de réfugiés et 1 million de sans-abris.

Aujourd’hui, tout ce beau monde s’est calmé. Le gouvernement tente d’enrayer la corruption sous surveillance de l’ONU et diverses ONG, de redresser l’économie et d’agir en faveur de l’environnement. C’est sans compter l’action des Maras (MS 13 ou Salvatrucha), gangs transfrontaliers que l’on retrouve tant au Salvador qu’au Honduras, ultra violents et puissants souvent constitués des fils des guérilleros « communistes», qui continuent à terroriser la population, servent de vivier de recrutement aux armées privées des cartels mexicains, organisent le trafic dans les prisons américaines et recyclent les stocks d’armes des USA (pas moins de 250000 grenades M67 livrées au Salvador avant le cesser le feu, on les trouve au marché noir pour quelques centaines de dollars pièce, les Narcos en sont friands).

Ces combattants se moquent bien du Che ou de toute doctrine socialiste, il s’agit juste de survie, d’argent et de pouvoir, de mafia capitaliste et d’insurrection criminelle. Bienvenue au 21ème siècle !

Le Salvador, Sauve qui peut.

 

 

 

Le Honduras est le premier pays formellement qualifié de république bananière. Loin de l’idée d’un pays qui tente d’assoir sa croissance sur une économie agraire, la réalité traduit l’ingérence des compagnies fruitières américaines dans la vie économique et politique. L’image évoque également une corruption rampante et un folklore de conflits d’opérette avec les voisins : rétrocession de la Côte des Moustiques par le Nicaragua et Guerre du Football avec le Salvador (1969) – la crise née de la présence d’immigrés illégaux Salvadoriens s’étant brutalement exacerbée lors de l’élimination des sélections de la Coupe du Monde de Foot.

Dans les années 80, les USA utilisent le Honduras comme plate-forme de coordination pour la guerre clandestine contre le gouvernement sandiniste au Nicaragua et les mouvements de gauche au Salvador ou au Guatemala.

 

En 2008, le président en place tente de se dégager de l’emprise Américaine en adhérant à l’Alliance Bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) créée par Chavez et Castro. De plus il appelle à la création d’une nouvelle constitution d’inspiration progressiste. En 2009, il est renversé par un coup d’Etat militaire. Cette action est condamnée par de nombreux pays, l’ONU et dans un premier temps Obama. Mais le Département d’Etat refuse de qualifier l’opération de « coup d’Etat militaire » ce qui aurait conduit les USA à interrompre le « programme d’aide ». Le gouvernement putschiste resta donc de facto en place jusqu’à la tenue d’élections remportées par la droite faisant de la fraude électorale un mode de consultation habituel.

 

En 2017, le scrutin présidentiel est entaché de sérieux indices de fraude. Malgré des rapports accablants, et avec la bénédiction des USA, le président sortant est réélu après adaptation de la constitution qui limitait la présidence à un mandat unique, cette contrainte ridicule n’existe plus.

Enfin, le Honduras fait partie des 8 pays qui ont soutenu les USA à l’ONU dans leur décision de déménager l’ambassade de Tel Aviv à Jérusalem…

Teguci / Tegucigal / Tegucigal Pas !!

 

 

 

Quelques miles nautiques plus Sud, le Nicaragua : au début des années 80, le dictateur Somoza est renversé par les rebelles Sandinistes, soutenus plutôt de près que de loin par Moscou. Pour Reagan alors président, après le fiasco du Vietnam qui a vu les Communistes s’installer en Asie puis au Cambodge, après le bourbier de l’Afghanistan appuyé par les Russes, les tentations gauchistes en Afrique -Mozambique, Angola-, tous les moyens sont bons pour lutter contre le “terrorisme” communiste.

Les Contras -contrerévolutionnaires- groupes d’extrême-droite locaux sont prêts à faire le boulot. Suffit de les armer et de les financer. Le Congrès Américain (dans un moment d’égarement) interdit le versement direct d’« aides humanitaires » aux militaires dont les officiers constituent le plus gros des brigades de la mort. Il faut faire un trois bandes, la CIA a l’idée géniale d’utiliser l’argent de la dope : les consommateurs de drogue américains (n’oublions pas que les présidents américains depuis Nixon ont été réélu sur la promesse de guerre à la drogue) financeront indirectement les Contras via les Cartels.

Le schéma est simple. Les cartels mexicains vendent aux mafias implantées aux USA, se font payer en armes (facile aux USA – le plus grand producteur de Kalachnikov au monde, si, si) qu’ils refourguent aux producteurs. La demande de poudre impossible à rassasier inonde la jungle d’armes qui dans les décennies suivantes vont alimenter les guerres de cartels.

Tout simplement brillant !

Quadruple objectif atteint ; 1 – supprimer la menace communiste, 2 – financer secrètement une guerre extraterritoriale, 3 – soutenir le business local US des armes, 4 – contrôler une partie de la population indésirable des USA en suscitant l’explosion de la consommation de crack dans les communautés blacks, puis une pénalisation différentielle crack (20 ans de prison pour 5 grammes) versus cocaïne (20 ans de prison pour 500 grammes) alors qu’il s’agit du même produit, juste un peu moins raffiné…

“Malheureusement”, tout a une fin et en 1988, après 60 000 morts, les Sandinistes et les Contras signent un cessez le feu. Le Nicaragua reste communiste. Jusqu’à récemment, c’était le pays d’Amérique centrale qui présentait le plus faible ratio de violence et la meilleure croissance en partenariat avec la Chine….

 

Panama City – Derrière les gratte-ciels vides, les bidons-villes

 

 

Le Costa Rica c’est un peu la Suisse de l’Amérique Centrale : un îlot de prospérité et de calme et totalement eco-conscious. C’est en tout cas comme ça que le présentent les prospectus des agences de voyages. Sus aux mythes :

1. Si le Costa Rica jouit d’un environnement de forêt primaire alors que partout ailleurs la jungle a été saccagée, ce n’est pas dû à la décision récente (1994) de déclarer 15% de la surface totale en parcs nationaux. C’est en grande partie parce que le pays est resté très peu peuplé pendant très longtemps, les populations vivant sur les franges côtières insalubres et évitant la jungle maléfique.

2. La bonne réputation du Costa Rica repose sur la promotion de l’éco-tourisme, qui justifie son prix élevé par l’organisation de la rareté et la communion avec une nature “préservée”, réservée à une clientèle aisée. C’est le syndrome Galapagos. Il constitue la ressource principale du pays qui ne dispose pas de matières premières et dont l’économie ne peut dépendre de la fluctuation des cours de la banane ou du café.

3. Si le Costa Rica se présente comme intensément pacifiste -l’armée est interdite dans la constitution de 1949-, c’est le résultat d’une opportunité politique. Le président en place ne pouvant s’assurer le plein support de l’armée l’a purement éliminée. Là encore, stratégie d’opportunité à l’œuvre : préserver sa neutralité tout en bénéficiant du soutien financier des USA d’autant plus facilement accordé que c’est le seul pays d’Amérique Centrale qui n’ait pas cédé à la tentation communiste. Un président charismatique et fin stratège l’a neutralisée tout en défendant un programme de progrès social. Ceci n’exclut pas une forte corruption a tous les étages.

4. L’image de havre de paix s’exprime de plus en plus derrière les barbelés des marinas ou resorts privés américains car la prospérité n’a pas bénéficié à tous les Ticos et les problèmes de sécurité sont omniprésents en grande partie liés à la diffusion du crack.

Lo siento Amigos, c’est plus facile de parler du magnifique quetzal, du tapir ou du cougar.

 

Dernière écluse de Gatun, entrée sur l’Atlantique

 

 

Enfin, Panama : pays de contraste, riche des revenus du canal (quelle blague, 5% du PIB pour le canal, contre 75% aux « services », restons pudiques), pauvre de sa corruption endémique, une population de sang-mêlés où les peuples premiers côtoient les descendants d’esclaves abandonnés. Le contraste est flagrant entre la brillante Panama City côté Pacifique et la no-go zone de Colon côté Caraïbes. Inutile de s’appesantir sur le pays, sous contrôle direct de l’empire US depuis 1903 [province de la Colombie, le Panama a “spontanément” déclaré son indépendance en octobre, s’est vu reconnaître par les USA – Roosevelt – en novembre et attribué à ces derniers l’intégralité des droits sur un éventuel canal en décembre], pseudo-indépendance avec la rétrocession du canal en 1999, on peut voir Panama comme une première barricade sur le “limes” cher aux Romains.

 

Mini mart et mini skirt, tout est petit dans notre vie… – Canal de Panama

 

 

Synthèse… “America first”

  1. Les lieux

Dans le Pacifique Sud déjà, les comportements prédateurs nous avaient surpris, le recours au troc, munitions et alcools forts contre poisson, était trop caricatural pour être recevable, passons.

Au Japon ensuite, nous avions tiqués, Nagasaki, la seconde bombe, un test grandeur nature juste pour s’assurer que le plutonium offre une bien meilleure performance que l’uranium, les destructions, les morts, aucune importance, des sous-hommes.

En Colombie Britannique, Washington (l’Ouest Canadien n’est que peu différent des US), la symphonie du Nouveau Monde tourne à l’aigre, primo-occupants impitoyablement éliminés, surexploitation des ressources naturelles, racisme anti Chinois, anti Noir, dope. La Californie, libérale, rempart à l’obscurantisme ambiant perd ses atours – une fumisterie – et dévoile un gigantesque laboratoire où s’élaborent les concepts et techniques d’asservissement de masse, d’aujourd’hui et de demain ; destruction avancée de l’environnement, armées de sans-grades invisibles, le contrat social est laminé, les rapports entre individus sont d’une brutalité rare.

De l’autre côté du non-mur, la main d’œuvre à prix coutant, les usines d’assemblage, la production maraichère sous licence, les jeux de taxes de l’Alena qui drainent la valeur ajoutée dans les (non-existants) paradis fiscaux, parcs à retraités et médecine bon marché, rendre impossible la construction d’un état souverain et autonome, fût-ce au prix de centaines de milliers de vies. Les Mexicains n’ont pas encore baissé la tête, heureusement.

La Méso-Amérique, royaume des républiques bananières selon l’expression consacrée, républiques indépendantes normalisées à coup de narcodollars et de charniers, la peur du communiste est si forte, si bien entretenue. “Il n’est Dieu ni sauveur suprême” est incompatible avec le billet vert estampillé “In God We Trust”, les communismes égalitaires sont indissolubles dans le dollar tout comme dans l’Islam… on comprend mieux certaines alliances objectives.

 

  1. Les méthodes

Rien n’est laissé au hasard à commencer par le travail de l’image projetée – d’importance stratégique –  déconstruction de la réalité remplacée par les mythes (gentils cowboys, GI sauveurs du monde libre, pays d’immigration, terre de liberté). Sous tendant le travail de l’image, la puissance industrielle crée des besoins artificiels dans une course à l’échalotte sans fin et s’appuie sur un ordre économique taillé sur mesure : contrôle de la monnaie de référence, extraterritorialité des règles. Les désaccords sont arbitrés rapidement selon la technique éprouvée du conflit préventif (officiel ou en sous-main) juste renvoi d’ascenseur aux militaro-industriels.

L’instantanéité prime – ce qui compte, c’est ce qui marche. La valorisation immédiate des ressources est prioritaire sur leur développement, que ce soit en matière de ressources naturelles (la surexploitation est la norme au détriment du renouvelable), en matière d’allocation de capital (priorité aux rachats d’actions sur l’investissement afin de faire monter les cours) ou en matière d’économie de la connaissance (prédation des cerveaux sino-indiens afin de maintenir une importante production de brevets).

Les règles d’organisation de la cité ne s’appuient pas sur un corpus ex-ante découlant de principes fondamentaux (les bons vieux liberté, égalité, fraternité par exemple)  mais sont définies/adaptées selon des besoins obéissant au premier principe du “moi d’abord”, la doctrine se chargeant, souvent au prix de contorsions abominables, de construire une apparente cohérence; ainsi invente-t-on, sans rire, la notion de guerre propre puis de guerre juste, quel individu sain d’esprit peut, les entrailles à l’air, se sentir propre et juste? ainsi justifie-t-on, au vu des indemnités d’assurance, l’abominable équivalence 1 américain blanc = 10 américains noirs = 1000 pakis; ainsi explique-t-on aux femmes, mielleux, qu’elles doivent être protégées des prédateurs, abandonnér leur individualité en échange de la sécurité; ainsi tourne-t-on en ridicule les environnementalistes au motif que ce n’est pas prouvable donc cela n’existe pas; ainsi autorise-t-on l’enseignement du créationnisme au mépris de toute démarche scientifique…stop!!! de quoi devenir dingue, de quoi prendre un flingue….

Les dynamiques à l’œuvre conduisent à une redéfinition unilatérale de l’intégralité des modes de fonctionnement de la société, laquelle société a connu un essor incroyable, se retrouve dotée d’une puissance sans égale à ce jour et expérimente, pour la première fois de sa courte existence, une forme d’omnipotence.

 

  1. Les options

Pour la majorité des grandes sociétés connues à ce jour, l’objectif affiché (certes pas toujours atteint) et fédérateur consiste en l’amélioration des conditions de vie pour le plus grand nombre ; vision humaniste floue qui laissa et laisse encore place à négociation, avec ses crises, dérives totalitaires, esclavagistes mais montre une étonnante résilience depuis Nabuchodonosor.

La société américaine pose à l’inverse non plus un objectif mais une possibilité ‘mesurable’ d’amélioration individuelle pour les acteurs contributeurs. Les autres, ces boulets, sont de-facto exclus, déchus de leur humanité. Le constat est accablant. Dans ce modèle, l’humanité n’est plus une caractéristique intrinsèque mais un attribut de l’appartenance à un groupe. La porte s’ouvre grande aux vieux démons. Subtil, l’argumentaire est déjà rodé : il ne s’agit pas de nuire aux exclus, juste de permettre aux contributeurs de toucher les bénéfices de leurs actions – le transhumanisme n’est, vous en conviendrez, pas accessible à tous, juste aux élus, les autres, dans les réserves…

Ce n’est probablement pas par hasard que se développe, au mépris du socle de valeurs communes à l’humanité, une expérimentation de cette nature. Force est de supposer qu’un schéma directeur est à l’œuvre. La définition d’une identité “heureuse” débarquée du Mayflower, la prééminence de population WASP (acronyme de White Anglo Saxon Protestant mais également guêpe…) dans les instances dirigeantes, la mise sous tutelle des minorités, sont autant de signaux faibles des problèmes à venir.

Noyau dur suprémaciste à l’œuvre – théorie de la conspiration –  ou bien évolution cancéreuse d’une société singulière – approche biologique – peu importe bien que la question mérite d’être posée ; le potentiel est là de mettre la planète à feu et à sang.

 

Stéphanie / Christophe

North West Point – Providenciales – Turks & Caicos – 23 mai 2018