En vert et Captation

Shelter Bay – Colon – Panama

 

Descente aux enfers par la face ouest : l’Amérique Centrale. C’est la fin de la boucle Pacifique, les portes des écluses de Panama ouvertes il y a 4 ans sont closes. Avant de reprendre les routes Atlantique, le passage sans escale du Chiapas à Panama est l’occasion de dresser un bilan sans concession des marches de l’Empire.

 

 

 

Peten – Guatemala, Chiapas – Mexique, il y a toujours quelqu’un encore plus au Sud, encore plus pauvre, à exploiter.  Le Guatemala, épicentre de la culture Maya qui s’épanouissait dans la jungle, reste le pays des pôvres indiens auxquels les pillards successifs ne laissent aucune chance. Cortes en arrivant n’a eu qu’à ramasser les miettes dorées des royaumes sur le déclin. Il installe un système foncier où dominent les colons et où les indiens sont asservis. Ce système va perdurer jusqu’au 21ème siècle. Après la seconde guerre mondiale, la United Fruit Company prend la main sur la structure de pouvoir, adoubée par la CIA. Lorsqu’une rébellion marxiste éclate sous la forme d’une guérilla, la guerre civile prend une forme unilatérale : les gauchistes mal armés contre des professionnels formés et financés par les “programmes d’aides USA”. C’est un carnage : plus de 150 000 personnes tuées et 40 000 disparues. Les USA justifient cette intervention par la nécessité d’écraser la menace communiste et éviter le risque de contamination du Mexique.

Aujourd’hui, la frontière est le territoire des Zetas, cartel Mexicain qui utilise les terres du Guatemala pour faire transiter la coke de Colombie vers le Mexique, recrute les anciens militaires formés par les USA pour son armée et s’est diversifié dans les activités d’enlèvements et d’extorsions en particulier des migrants d’Amérique centrale, d’Asie centrale ou d’Afrique tentés par le passage vers l’Amérique et considérés comme une marchandise d’une valeur d’une centaine de dollars.

Tristes, tristes Amériques.

 

Jungle

 

 

Le Salvador, toujours en recovery depuis les escadrons de la mort et la fin des guerres civiles présente également quelques pitreries d’histoire récente. Dans les années 80, les campesinos plus quelques prêtres, étudiants et syndicats de travailleurs ont l’outrecuidance de réclamer une réforme agraire. Les possédants -environ 2% de la population- investissent dans des milices d’extrême droite financées et armées par les USA toujours sous le prétexte de combattre les insurgés communistes. Ces milices, au top de la communication par l’exemple, déchargent les cadavres des disparus et les têtes tranchées sur le bord de la route pour de simples leçons d’instruction civique. Les insurgés ne sont pas en reste et se financent par les enlèvements et le racket. A l’issue, le pays est un véritable charnier : sur 5 millions d’habitants, 750 000 morts, 1 million de réfugiés et 1 million de sans-abris.

Aujourd’hui, tout ce beau monde s’est calmé. Le gouvernement tente d’enrayer la corruption sous surveillance de l’ONU et diverses ONG, de redresser l’économie et d’agir en faveur de l’environnement. C’est sans compter l’action des Maras (MS 13 ou Salvatrucha), gangs transfrontaliers que l’on retrouve tant au Salvador qu’au Honduras, ultra violents et puissants souvent constitués des fils des guérilleros « communistes», qui continuent à terroriser la population, servent de vivier de recrutement aux armées privées des cartels mexicains, organisent le trafic dans les prisons américaines et recyclent les stocks d’armes des USA (pas moins de 250000 grenades M67 livrées au Salvador avant le cesser le feu, on les trouve au marché noir pour quelques centaines de dollars pièce, les Narcos en sont friands).

Ces combattants se moquent bien du Che ou de toute doctrine socialiste, il s’agit juste de survie, d’argent et de pouvoir, de mafia capitaliste et d’insurrection criminelle. Bienvenue au 21ème siècle !

Le Salvador, Sauve qui peut.

 

 

 

Le Honduras est le premier pays formellement qualifié de république bananière. Loin de l’idée d’un pays qui tente d’assoir sa croissance sur une économie agraire, la réalité traduit l’ingérence des compagnies fruitières américaines dans la vie économique et politique. L’image évoque également une corruption rampante et un folklore de conflits d’opérette avec les voisins : rétrocession de la Côte des Moustiques par le Nicaragua et Guerre du Football avec le Salvador (1969) – la crise née de la présence d’immigrés illégaux Salvadoriens s’étant brutalement exacerbée lors de l’élimination des sélections de la Coupe du Monde de Foot.

Dans les années 80, les USA utilisent le Honduras comme plate-forme de coordination pour la guerre clandestine contre le gouvernement sandiniste au Nicaragua et les mouvements de gauche au Salvador ou au Guatemala.

 

En 2008, le président en place tente de se dégager de l’emprise Américaine en adhérant à l’Alliance Bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) créée par Chavez et Castro. De plus il appelle à la création d’une nouvelle constitution d’inspiration progressiste. En 2009, il est renversé par un coup d’Etat militaire. Cette action est condamnée par de nombreux pays, l’ONU et dans un premier temps Obama. Mais le Département d’Etat refuse de qualifier l’opération de « coup d’Etat militaire » ce qui aurait conduit les USA à interrompre le « programme d’aide ». Le gouvernement putschiste resta donc de facto en place jusqu’à la tenue d’élections remportées par la droite faisant de la fraude électorale un mode de consultation habituel.

 

En 2017, le scrutin présidentiel est entaché de sérieux indices de fraude. Malgré des rapports accablants, et avec la bénédiction des USA, le président sortant est réélu après adaptation de la constitution qui limitait la présidence à un mandat unique, cette contrainte ridicule n’existe plus.

Enfin, le Honduras fait partie des 8 pays qui ont soutenu les USA à l’ONU dans leur décision de déménager l’ambassade de Tel Aviv à Jérusalem…

Teguci / Tegucigal / Tegucigal Pas !!

 

 

 

Quelques miles nautiques plus Sud, le Nicaragua : au début des années 80, le dictateur Somoza est renversé par les rebelles Sandinistes, soutenus plutôt de près que de loin par Moscou. Pour Reagan alors président, après le fiasco du Vietnam qui a vu les Communistes s’installer en Asie puis au Cambodge, après le bourbier de l’Afghanistan appuyé par les Russes, les tentations gauchistes en Afrique -Mozambique, Angola-, tous les moyens sont bons pour lutter contre le “terrorisme” communiste.

Les Contras -contrerévolutionnaires- groupes d’extrême-droite locaux sont prêts à faire le boulot. Suffit de les armer et de les financer. Le Congrès Américain (dans un moment d’égarement) interdit le versement direct d’« aides humanitaires » aux militaires dont les officiers constituent le plus gros des brigades de la mort. Il faut faire un trois bandes, la CIA a l’idée géniale d’utiliser l’argent de la dope : les consommateurs de drogue américains (n’oublions pas que les présidents américains depuis Nixon ont été réélu sur la promesse de guerre à la drogue) financeront indirectement les Contras via les Cartels.

Le schéma est simple. Les cartels mexicains vendent aux mafias implantées aux USA, se font payer en armes (facile aux USA – le plus grand producteur de Kalachnikov au monde, si, si) qu’ils refourguent aux producteurs. La demande de poudre impossible à rassasier inonde la jungle d’armes qui dans les décennies suivantes vont alimenter les guerres de cartels.

Tout simplement brillant !

Quadruple objectif atteint ; 1 – supprimer la menace communiste, 2 – financer secrètement une guerre extraterritoriale, 3 – soutenir le business local US des armes, 4 – contrôler une partie de la population indésirable des USA en suscitant l’explosion de la consommation de crack dans les communautés blacks, puis une pénalisation différentielle crack (20 ans de prison pour 5 grammes) versus cocaïne (20 ans de prison pour 500 grammes) alors qu’il s’agit du même produit, juste un peu moins raffiné…

“Malheureusement”, tout a une fin et en 1988, après 60 000 morts, les Sandinistes et les Contras signent un cessez le feu. Le Nicaragua reste communiste. Jusqu’à récemment, c’était le pays d’Amérique centrale qui présentait le plus faible ratio de violence et la meilleure croissance en partenariat avec la Chine….

 

Panama City – Derrière les gratte-ciels vides, les bidons-villes

 

 

Le Costa Rica c’est un peu la Suisse de l’Amérique Centrale : un îlot de prospérité et de calme et totalement eco-conscious. C’est en tout cas comme ça que le présentent les prospectus des agences de voyages. Sus aux mythes :

1. Si le Costa Rica jouit d’un environnement de forêt primaire alors que partout ailleurs la jungle a été saccagée, ce n’est pas dû à la décision récente (1994) de déclarer 15% de la surface totale en parcs nationaux. C’est en grande partie parce que le pays est resté très peu peuplé pendant très longtemps, les populations vivant sur les franges côtières insalubres et évitant la jungle maléfique.

2. La bonne réputation du Costa Rica repose sur la promotion de l’éco-tourisme, qui justifie son prix élevé par l’organisation de la rareté et la communion avec une nature “préservée”, réservée à une clientèle aisée. C’est le syndrome Galapagos. Il constitue la ressource principale du pays qui ne dispose pas de matières premières et dont l’économie ne peut dépendre de la fluctuation des cours de la banane ou du café.

3. Si le Costa Rica se présente comme intensément pacifiste -l’armée est interdite dans la constitution de 1949-, c’est le résultat d’une opportunité politique. Le président en place ne pouvant s’assurer le plein support de l’armée l’a purement éliminée. Là encore, stratégie d’opportunité à l’œuvre : préserver sa neutralité tout en bénéficiant du soutien financier des USA d’autant plus facilement accordé que c’est le seul pays d’Amérique Centrale qui n’ait pas cédé à la tentation communiste. Un président charismatique et fin stratège l’a neutralisée tout en défendant un programme de progrès social. Ceci n’exclut pas une forte corruption a tous les étages.

4. L’image de havre de paix s’exprime de plus en plus derrière les barbelés des marinas ou resorts privés américains car la prospérité n’a pas bénéficié à tous les Ticos et les problèmes de sécurité sont omniprésents en grande partie liés à la diffusion du crack.

Lo siento Amigos, c’est plus facile de parler du magnifique quetzal, du tapir ou du cougar.

 

Dernière écluse de Gatun, entrée sur l’Atlantique

 

 

Enfin, Panama : pays de contraste, riche des revenus du canal (quelle blague, 5% du PIB pour le canal, contre 75% aux « services », restons pudiques), pauvre de sa corruption endémique, une population de sang-mêlés où les peuples premiers côtoient les descendants d’esclaves abandonnés. Le contraste est flagrant entre la brillante Panama City côté Pacifique et la no-go zone de Colon côté Caraïbes. Inutile de s’appesantir sur le pays, sous contrôle direct de l’empire US depuis 1903 [province de la Colombie, le Panama a “spontanément” déclaré son indépendance en octobre, s’est vu reconnaître par les USA – Roosevelt – en novembre et attribué à ces derniers l’intégralité des droits sur un éventuel canal en décembre], pseudo-indépendance avec la rétrocession du canal en 1999, on peut voir Panama comme une première barricade sur le “limes” cher aux Romains.

 

Mini mart et mini skirt, tout est petit dans notre vie… – Canal de Panama

 

 

Synthèse… “America first”

  1. Les lieux

Dans le Pacifique Sud déjà, les comportements prédateurs nous avaient surpris, le recours au troc, munitions et alcools forts contre poisson, était trop caricatural pour être recevable, passons.

Au Japon ensuite, nous avions tiqués, Nagasaki, la seconde bombe, un test grandeur nature juste pour s’assurer que le plutonium offre une bien meilleure performance que l’uranium, les destructions, les morts, aucune importance, des sous-hommes.

En Colombie Britannique, Washington (l’Ouest Canadien n’est que peu différent des US), la symphonie du Nouveau Monde tourne à l’aigre, primo-occupants impitoyablement éliminés, surexploitation des ressources naturelles, racisme anti Chinois, anti Noir, dope. La Californie, libérale, rempart à l’obscurantisme ambiant perd ses atours – une fumisterie – et dévoile un gigantesque laboratoire où s’élaborent les concepts et techniques d’asservissement de masse, d’aujourd’hui et de demain ; destruction avancée de l’environnement, armées de sans-grades invisibles, le contrat social est laminé, les rapports entre individus sont d’une brutalité rare.

De l’autre côté du non-mur, la main d’œuvre à prix coutant, les usines d’assemblage, la production maraichère sous licence, les jeux de taxes de l’Alena qui drainent la valeur ajoutée dans les (non-existants) paradis fiscaux, parcs à retraités et médecine bon marché, rendre impossible la construction d’un état souverain et autonome, fût-ce au prix de centaines de milliers de vies. Les Mexicains n’ont pas encore baissé la tête, heureusement.

La Méso-Amérique, royaume des républiques bananières selon l’expression consacrée, républiques indépendantes normalisées à coup de narcodollars et de charniers, la peur du communiste est si forte, si bien entretenue. “Il n’est Dieu ni sauveur suprême” est incompatible avec le billet vert estampillé “In God We Trust”, les communismes égalitaires sont indissolubles dans le dollar tout comme dans l’Islam… on comprend mieux certaines alliances objectives.

 

  1. Les méthodes

Rien n’est laissé au hasard à commencer par le travail de l’image projetée – d’importance stratégique –  déconstruction de la réalité remplacée par les mythes (gentils cowboys, GI sauveurs du monde libre, pays d’immigration, terre de liberté). Sous tendant le travail de l’image, la puissance industrielle crée des besoins artificiels dans une course à l’échalotte sans fin et s’appuie sur un ordre économique taillé sur mesure : contrôle de la monnaie de référence, extraterritorialité des règles. Les désaccords sont arbitrés rapidement selon la technique éprouvée du conflit préventif (officiel ou en sous-main) juste renvoi d’ascenseur aux militaro-industriels.

L’instantanéité prime – ce qui compte, c’est ce qui marche. La valorisation immédiate des ressources est prioritaire sur leur développement, que ce soit en matière de ressources naturelles (la surexploitation est la norme au détriment du renouvelable), en matière d’allocation de capital (priorité aux rachats d’actions sur l’investissement afin de faire monter les cours) ou en matière d’économie de la connaissance (prédation des cerveaux sino-indiens afin de maintenir une importante production de brevets).

Les règles d’organisation de la cité ne s’appuient pas sur un corpus ex-ante découlant de principes fondamentaux (les bons vieux liberté, égalité, fraternité par exemple)  mais sont définies/adaptées selon des besoins obéissant au premier principe du “moi d’abord”, la doctrine se chargeant, souvent au prix de contorsions abominables, de construire une apparente cohérence; ainsi invente-t-on, sans rire, la notion de guerre propre puis de guerre juste, quel individu sain d’esprit peut, les entrailles à l’air, se sentir propre et juste? ainsi justifie-t-on, au vu des indemnités d’assurance, l’abominable équivalence 1 américain blanc = 10 américains noirs = 1000 pakis; ainsi explique-t-on aux femmes, mielleux, qu’elles doivent être protégées des prédateurs, abandonnér leur individualité en échange de la sécurité; ainsi tourne-t-on en ridicule les environnementalistes au motif que ce n’est pas prouvable donc cela n’existe pas; ainsi autorise-t-on l’enseignement du créationnisme au mépris de toute démarche scientifique…stop!!! de quoi devenir dingue, de quoi prendre un flingue….

Les dynamiques à l’œuvre conduisent à une redéfinition unilatérale de l’intégralité des modes de fonctionnement de la société, laquelle société a connu un essor incroyable, se retrouve dotée d’une puissance sans égale à ce jour et expérimente, pour la première fois de sa courte existence, une forme d’omnipotence.

 

  1. Les options

Pour la majorité des grandes sociétés connues à ce jour, l’objectif affiché (certes pas toujours atteint) et fédérateur consiste en l’amélioration des conditions de vie pour le plus grand nombre ; vision humaniste floue qui laissa et laisse encore place à négociation, avec ses crises, dérives totalitaires, esclavagistes mais montre une étonnante résilience depuis Nabuchodonosor.

La société américaine pose à l’inverse non plus un objectif mais une possibilité ‘mesurable’ d’amélioration individuelle pour les acteurs contributeurs. Les autres, ces boulets, sont de-facto exclus, déchus de leur humanité. Le constat est accablant. Dans ce modèle, l’humanité n’est plus une caractéristique intrinsèque mais un attribut de l’appartenance à un groupe. La porte s’ouvre grande aux vieux démons. Subtil, l’argumentaire est déjà rodé : il ne s’agit pas de nuire aux exclus, juste de permettre aux contributeurs de toucher les bénéfices de leurs actions – le transhumanisme n’est, vous en conviendrez, pas accessible à tous, juste aux élus, les autres, dans les réserves…

Ce n’est probablement pas par hasard que se développe, au mépris du socle de valeurs communes à l’humanité, une expérimentation de cette nature. Force est de supposer qu’un schéma directeur est à l’œuvre. La définition d’une identité “heureuse” débarquée du Mayflower, la prééminence de population WASP (acronyme de White Anglo Saxon Protestant mais également guêpe…) dans les instances dirigeantes, la mise sous tutelle des minorités, sont autant de signaux faibles des problèmes à venir.

Noyau dur suprémaciste à l’œuvre – théorie de la conspiration –  ou bien évolution cancéreuse d’une société singulière – approche biologique – peu importe bien que la question mérite d’être posée ; le potentiel est là de mettre la planète à feu et à sang.

 

Stéphanie / Christophe

North West Point – Providenciales – Turks & Caicos – 23 mai 2018

Longues routes pacifiques 2013-2015

Ayo ! quelle aventure, la mer de Corail, le détroit de Torres, la mer d’Arafura, ce n’est pas tout à fait l’Asie mais ce n’est plus l’Ouest du Pacifique Sud…

« Yo ! » est mouillé dans l’archipel des Moluques, les îles aux Epices et cœur de la Mélanésie, todo bene. Tout est raconté dans le dernier chapitre du recueil joint bien plus nautique qu’ethnologique.

Voilà deux ans que le projet Yodyssey a été porté sur les flots ; en matière de cadeau d’anniversaire, ce recueil, à télécharger, imprimer ou non et déguster, par petites touches, comme une toile de Salvador.

cliquer ici ==>     Longues routes pacifiques 2013-2015

Il s’adresse aux marins initiés, à ceux que le lent balancement de la houle berce des jours durant, à ceux que la mer forte et, bien sûr, croisée, emporte en fuite vers des ailleurs que l’on rêve ou redoute, à ceux qui estiment n’être jamais à plus de 5 miles de la côte (en vertical s’entend au plus profond des grandes fosses océaniques), à ceux qui connurent ou imaginent le lent dérèglement des sens causés par l’accumulation de roulis, de tangage, de fatigue, de privations, à ceux que n’effraient pas ces moments fugaces où la raison vacille, où les mots prennent vie pour nourrir les idées, où l’on commence à douter de sa propre santé mentale.

Il s’adresse également à tous les autres, terriens curieux, qui se demandent ce que cela représente d’être vingt jours durant sur une coque de noix, voguant au grès des vents sur l’immensité de l’océan.

A tous, il offre un accès particulier, brut, à la vie du bord, à certains enjeux, à certaine folies, de par la compilation de points journaliers rédigés au fil de l’eau et envoyés à la famille proche via liaison satellitaire – le style s’en ressent parfois.

Très peu retravaillés afin de restituer la spontanéité des écrits, les points journaliers sont regroupés selon des  « Longues routes », une à trois semaines non-stop. Elles se succèdent tout au long de la campagne « Go West » du projet Yodyssey consacrée au Pacifique, de Panama au Détroit de Torres et sont probablement les dernières avant longtemps, l’exploration subséquente de la Méditerranée Asiatique (Mer de Chine) n’impliquant pas de navigation supérieure à quelques jours.

Les paramètres clefs relatifs à chaque route sont rappelés brièvement permettant d’en mesurer les enjeux, puis s’enchaînent au fil des jours les rapports à l’Amirauté. Il ne s’agit en aucune manière d’un guide de navigation, encore moins d’un récit d’aventures, mais peut-être simplement d’évoquer les embruns et de donner à tout un chacun l’opportunité de faire un bout de route en notre compagnie.

Tous les chapitres sont indépendants, certains ont notre préférence de par la densité de jeux de mots douteux, d’autres de par les souvenirs associés aux conditions de navigation ou aux moments précieux partagés en de très belles occasions.

Stéphanie/Christophe

Mer d’Arafura – Indonésie

10 Août 2015

La dragée Fuca du Canal

 

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Panama City by night

 

Le 7 Avril, « Yo ! » se balance nonchalamment  amarré à  une bouée du Balboa Yacht Club, à la sortie Pacifique du Canal de Panama, le pont des Amériques surplombant la mâture et quelques jours plus tard,  au mouillage devant la skyline de Panama City (Balboa n’est en fait qu’un quartier de la capitale) – mouillage original et rare, bizarre de contraste : les bidonvilles et le luxe, sans profondeur, conforme à notre imaginaire rapport à l’Amérique Centrale.

 

Directement issus de tribus indiennes métissées et pour lesquelles Charles Quint, les grands d’Espagne tiennent lieu de passé en ayant supplanté les traditions orales, cet ensemble d’Etats affiche un net manque de maturité – l’Afrique et l’Asie semblent bien mieux résister au rouleau compresseur  « Westernised ».

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Musée F Gehry sur la biodiversité en report permanent d’inauguration, lorsque les problèmes d’infiltrations dans les fondations seront résolues.  

 

Le Panama tient une place particulière dans l’imaginaire, le chapeau, le scandale financier sous la Troisième République, le Canal, l’isthme forcé de la main de l’homme … bref de nombreux angles d’attaque.

Nous en retiendrons, avec beaucoup de modestie (nous sommes les champions du monde de la modestie), deux:

–          le partage de notre expérience drôle et éprouvante du transit à bord d’un frêle esquif.

–          quelques aspects socio-économiques relatifs au gigantesque projet d’extension du Canal et la manière dont ce projet s’inscrit dans la géostratégie logistique mondiale.

 

Retour sur cette aventure sous haute tension: le transit

La préparation du passage s’est effectuée à Shelter Bay, marina sécurisée en face de Colon, le fond du trou du cul du monde Atlantique, noir et or, la ville respire la criminalité, l’argent du Canal est aspiré sur la côte Pacifique, ne restent que les poubelles. C’est un lieu idéal pour remplir les démarches administratives dont la moindre n’est pas « l’admeasurement » (prise de mesure du navire, tous espars compris  afin de calculer le droit de passage) mené par un pingouin de l’Autorité du Canal de Panama (ACP) heureusement conditionné par les connaissances footballistiques du Capitaine. La veille du passage, notre agent Erick Galvez nous livre 4 aussières de 50 mètres et 8 énormes pare-battages destinés à protéger la carène des parois des écluses ou des bateaux auxquels nous serions accouplés. Nous retirons tout ce qui est susceptible de s’accrocher (perche IOR, pales de l’éolienne, moteur HB, capote…), protégeons les panneaux solaires, dégageons la cabine arrière puisque nous allons être 5 à dormir à bord sur le lac de Gatún et préparons 3 repas pour 6 personnes. Les ragots disent que si le «Transit Adviser », qu’il est obligatoire d’avoir à bord, n’est pas satisfait de ce qu’on lui sert, il peut commander des repas livrés aux frais du bateau en transit (repas à 30$ plus 80$ de frais de livraison!)

Enfin, pour Michel et Armand-Gabriel qui nous ont rejoints afin de partager cette expérience rare, répétition générale  de lancer d’aussière, de récupération de touline (petite boule en corde lestée, destinée à récupérer les aussières sur le quai dans les écluses), de nœuds de chaise et de taquet et validation par l’ensemble de l’équipage des différentes étapes.

 

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La forme de l’isthme de Panama fait que le canal s’étire du nord-ouest (Atlantique) au sud-est (Pacifique). Pour éviter la confusion, les autorités du canal classent les transits dans 2 catégories : direction nord (du Pacifique vers l’Atlantique) et direction sud (de l’Atlantique vers le Pacifique).

Le 6 avril à midi, nous sommes fin prêts, un « handliner » (teneur d’aussière) de location,  Mario,  nous rejoint car la règlementation impose quatre « handliners » en sus du Capitaine. Largué, appareillé, nous  prenons la direction du mouillage des « Flats » quelques miles avant la première écluse de Gatún où nous devons récupérer notre « Transit Adviser » (ce dernier ne prends pas la responsabilité des manœuvres, juste un rôle de conseiller spécifique aux petites unités, à l’inverse des pilotes embarqués à bord des cargos qui se substituent au Capitaine).

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Le canal accueille des yachts privés jusqu’aux gros navires de commerce. Les plus gros admis dans le canal sont appelés « Panamax » (65 000 tonnes de port – 300 mètres), à mettre en regard des « Suezmax » qui calent à 160 000 tonnes (mais les locaux n’apprécient guère qu’on leur parle de Suez).

En raison d’une différence d’altitude entre l’océan Atlantique et l’océan Pacifique, la construction du canal a nécessité la mise en place de 6 écluses selon un système conçu par Gustave Eiffel et repris par les Américains après l’échec du premier projet piloté par Ferdinand de Lesseps ; c’est là tout l’intérêt du passage, qui sinon se réduit à une ballade au moteur de 50 miles.

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Vers les écluses de Gatún.

La traversée pour un cargo prend 9 à 10 heures, elle s’étale pour les voiliers sur 2 jours. Les 3 écluses de Gatún, montantes, sont passées le premier jour. La nuit, les voiliers s’amarrent sur une tonne à l’entrée du lac de Gatún. Le deuxième jour, les voiliers traversent le lac au moteur à une vitesse minimum de 6 nœuds avant de franchir l’écluse de Pédro Miguel  puis un peu plus loin les deux écluses de Miraflores. A l’intérieur des écluses, les cargos sont tractés par de petites locomotives (mules) posées sur des rails disposés sur les murs des écluses, les plus petits bateaux (nous) sont amarrés par des aussières tenues à la main.

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Chaque écluse mesure 33,5m de large. Chaque chambre est  remplie en 8 minutes et par gravité de 100 000 m3 d’eau en provenance du lac de Gatún. Le dénivelé total est de 30 mètres ; à chaque fois, le bateau monte ou descend de 9 mètres. On peut imaginer les turbulences que cela occasionne – nos petites coques de noix en sont toutes pantoises. Ce n’est pourtant pas pour cette raison qu’il est vivement déconseillé de nager dans les écluses mais parce qu’elles seraient peuplées de crocodiles !

Apres la première écluse, nous constatons que « Yo! » n’est plus dans ses lignes, de l’eau sur la jupe ! Perte de flottabilité suspecte,  inquiétude, déclic, nous sommes en eau douce, Archimède m’a tuer ! Décidément, pas faits pour ça ! Le trip péniche, pas pour nous !

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Bye bye Atlantique, prenons de la hauteur

Le passage peut s’effectuer seul – passage le plus technique, les 4 « handliners » travaillent et de manière coordonnée !-, amarré à un tug (remorqueur) – seuls 2 « handliners » travaillent mais l’amarrage au tug présente des risques de choc ou de dégradation au niveau des barres de flèches-, ou « nested » (en nid), c’est-à-dire groupé avec 2 autres voiliers.

La première journée, nous sommes amarrés à un catamaran lui-même amarré à un « promène couillon ». Cool ! Hormis l’amarrage au cata, c’est le bateau mouche qui  gère les reprises d’aussières avec le quai lorsque le niveau monte.

 

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Dernière écluse de Gatún

 

La deuxième journée, nous sommes ré-amarrés à bâbord du cata, alors qu’il reçoit à tribord un autre voilier d’équipage Finlandais, pas très réveillé. Plus chaud ! Surtout lorsque les turbulences s’accroissent dans la dernière écluse de Miraflores où les eaux salées du Pacifique se mélangent à l’eau douce du lac. La qualité du passage dépend aussi de l’heure de la marée, car le marnage côté Pacifique atteint 6,55 mètres.

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Dernière écluse de Miraflores, guideliner sur le quai (lanceur de touline) et aussière tendue qui maintient le bateau au milieu de l’écluse.

 

Entre les 2 séries d’écluses se trouve le lac Gatún alimenté par la rivière Chagres : la construction d’un barrage  sur le Rio Chagres a permis d’inonder une grande vallée, donnant naissance au lac Gatún,  faisant office de  réservoir pour  le fonctionnement des écluses. Près d’un siècle plus tard, les souches remontent encore à la surface et les troncs semi immergés présentent un danger pour les bateaux en dehors des chenaux balisés.

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Ile au milieu du lac Gatún

Le travail des « handliners » (avant bâbord/tribord et arrière bâbord/tribord) est essentiel! Ils sont responsables d’accompagner le voilier lors de la montée et de la descente dans l’écluse en reprenant  ou choquant l’aussière elle-même frappée sur une bite sur le quai (de sacrées coquines les aussières).

Pour cela, il y a lieu de préparer un nœud de chaise à l’extrémité libre de l’aussière, de vérifier qu’elle part du taquet, passe à l’extérieur des filières avant de revenir sur le pont, rangée en glène (50 mètres de ficelle ! ) avec le grand nœud de chaise sur le dessus – faire simple.

Ensuite, il s’agit de réceptionner la touline lancée du quai (plus ou moins bien et plus ou moins coordonné avec l’avancée du bateau et le courant dans l’écluse : chaud à Miraflores quand un des « guide-liners » arrive en retard, essoufflé, sans casque, rate son lancer, se précipite sur la bite suivante…), de l‘attacher sur le nœud de chaise de l’aussière par un autre nœud de chaise qui sera récupéré sur le quai et posé sur la bite, puis reprendre le mou de façon synchronisée. Une fois les aussières tendues les portes s’ouvrent. Suivant que l’écluse est montante ou descendante, les « handliners » reprennent le mou ou laissent filer, pfew…

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« Handliner » en attente du GO. La tension est à son comble !

 

Le point délicat est de garder le bateau parallèle aux murs d’écluses et suffisamment éloigné. Compliqué lorsqu’il y du vent, du courant ou que certains équipiers sont moins rapides que d’autres (tout en intériorisation l’équipage finlandais !). Et pendant ce temps-là, le capitaine régule avec le moteur selon les instructions  du  « Transit Adviser » central.

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Sortie de la dernière écluse de Miraflores : première vue du Pacifique.

Tout ça pour ça ! Et oui, pour ça, LE PACIFIQUE, quand enfin s’ouvre la dernière porte et que se profilent au loin le Pont des Amériques et les grues de Balboa.

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Le port de portes containers de Balboa, opéré par une compagnie chinoise basée à Hong Kong, Hutchinson Whampoa dont le propriétaire Li Ka-shing est l’homme le plus riche de Chine.

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C’est vraiment le Nouveau Monde, les bus roulent sur l’eau, Jésus est dépassé.

 

Coloscopie du Canal

2014, correspond à l’année du centenaire de l’inauguration du canal, pour des travaux démarrés en 1882 et une estimation de plus de 20 000 morts suite aux épidémies de choléra, fièvre jaune (Gauguin en réchappa de justesse lorsqu’il fit le manœuvre pour 5$/j avant de tracer la route), malaria et accidents. Suite à l’échec français, la reprise et la finalisation des travaux ont été menés par les Américains après que les droits d’exploitation et de construction aient été cédés aux Etats-Unis en 1903, accompagné de l’octroi de la zone géographique du Canal par le gouvernement Panaméen. Cette cession est concomitante avec l’indépendance du Panama qui jusque-là faisait partie de la Grande Colombie fondée par Simon Bolivar et qui comprenait également le Venezuela, la Colombie, l’Equateur, une partie de la Guyane et du Nicaragua.

En 1977, suite à des émeutes contre la présence des Américains, Jimmy Carter a agréé la rétrocession de l’administration du Canal à la République du Panama, devenue effective le 31 Décembre 1999. Bien évidemment,  des doutes ont été émis quant à la capacité de l’Autorité du Canal à opérer le système de manière  efficace, mais en fait, c’est officiellement plutôt bien : l’Autorité du Canal (ACP) publie régulièrement l’indicateur Canal Water Time qui mesure le temps de transit des navires et montre que celui-ci s’améliore, de même  que diminue le nombre d’accidents alors que le trafic s’accroit.

Cette voie de passage qui représente 5% du trafic mondial et dont les principaux clients sont l’Amérique du Nord, la Chine, le Japon, le Chili et la Corée du Sud, reste considérée par les Etats-Unis comme une voie intérieure. Ainsi, les navires au pavillon Américain ont priorité sur les autres.

Mais de nos observations, cette priorité ne doit pas s’exercer très fréquemment : le trafic ne nous a pas paru saturé.

Les statistiques officielles annoncent 14 000 navires par an, soit près de 40 navires par jour. Pourtant, nous n’avons pas croisé lors de notre transit plus de 6 navires et il nous a été demandé de patienter 2 heures dans l’écluse Pedro Miguel en attendant que 2 bateaux aient fini de se croiser dans le « Gaillard Cut » sans perturbation aucune du trafic – étrange, planification pas très efficace, la crise économique a bon dos….

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Suceuse du Lac Gatún. L’Autorité du Canal est sans cesse en train d’effectuer des travaux : élargissement et rectification de « Gaillard Cut », creusement du lac de Gatún pour améliorer l’approvisionnement en eau, dragage des entrées Atlantique et Pacifique et amélioration de la flotte de locomotives.

Le chiffre d’affaires en 2009 atteint 1,4 milliards de dollars pour un résultat net de l’ordre de 400 millions de dollars siphonnés en partie par le gouvernement. Les droits sont fonction du tonnage ou bien du nombre d’EVP (équivalent vingt pieds = container classique de 38m3), du type de navire, de la cargaison ; à titre indicatif, en 2007, le coût était de 54$ par EVP, soit 0.1 centime par T-shirt… pas de quoi tuer le business, ah les effets d’échelle…

En 2012, 50% des navires transitant utilisent la largeur maximale des écluses. Ceci tend à justifier les travaux d’élargissement qui devaient être livrés pour le centenaire. Ces travaux doivent permettre le passage de porte-containers de 12 000 EVP (Panamax actuel : 4 000 EVP) et d’atteindre un trafic de 510 millions de tonnes en 2025 (280 millions de tonnes en 2005).

Les travaux d’élargissement ont été portés devant le peuple par voie de referendum en 2006 avec pour objectif de renforcer la vocation maritime du Canal, d’offrir une « route verte » à la planète, d’ancrer le pays dans un développement haute performance et de garantir du travail aux citoyens Panaméens. Le résultat du référendum est 78% de OUI pour un taux de participation de 43% (en ordre de grandeur rapporté au nombre d’habitants, l’extension  du canal représente un investissement par individu similaire à celui du programme nucléaire Français, les citoyens Panaméens ont été consultés, eux !).

Le projet lancé en 2007 comprend :

–          La construction de 2 jeux d’écluses : Atlantic Post Panamax et Pacific Post Panamax. Celles-ci possèderont chacune trois chambres et trois bassins de rétention d’eau destinées à récupérer l’eau et ainsi limiter le déversement de centaines de milliers de m3 d’eau douce dans l’océan à chaque éclusage, précipitant le vidage du lac ;

–          L’excavation de nouveaux canaux vers les nouvelles écluses.

–          L’élévation du niveau maximal d’exploitation du lac Gatún.

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Les nouvelles portes des écluses en attente d’être posées : 56 mètres de large, 31 mètres de haut et une épaisseur de 10 mètres. Les nouvelles écluses mesureront chacune 427 mètres de long sur 55 mètres de large pour une profondeur de 18,3 mètres, contre 304,8 mètres de long sur 33,5 mètres de large et 12,8 mètres de profondeur pour celles qui sont actuellement en service.

 Ce chantier est actuellement un des plus gros de la planète. On dénombre 76 grues géantes, 88 bétonnières, 47 excavatrices et pelleteuses qui creusent puis remplissent chaque jour 107 camions qui peuvent charger l’équivalent de 120 tonnes de rochers ou de terre pour un total de 150 millions de m3. Environ 20 000 ouvriers sont employés sur le chantier. Les travaux sont menés par un consortium international, le Groupe Uni Pour le Canal (GUPC) qui regroupe l’espagnol SACYR, l’italien IMPREGILO, le belge JAN de NUL et le constructeur panaméen CONSTRUCTORA URBANA.

Le coût du projet était initialement de 5,25 milliards de dollars, dont 2.3 milliards de dollars avancés par cinq banques internationales : la Banque Européenne d’Investissement, la Japan Bank for International Cooperation, l’Inter-American Development Bank, la Corporacion Andina de Fomento et l’International Finance. Le reste sera financé par les recettes liées au passage des bateaux. Après la mise en service, l’ACP table sur des revenus en hausse de 200 millions de dollars la première année, 400 millions la deuxième et 2 milliards la troisième.

Mais en raison de problèmes géologiques, le surcoût atteint en Février 2014 1,6 milliards de dollars. Pour l’entreprise espagnole SACYR qui dirige le consortium, c’est à l’ACP d’assumer ces surcoûts. Le chantier a donc connu une interruption de 2 semaines entre le 5 et le 20 Février pendant lesquelles des négociations ont été menées et auxquelles ont été mêlés l’Union Européenne et le Gouvernement Espagnol. L’aboutissement du chantier pour SACYR est crucial. Cette entreprise de BTP espagnole qui a fait fortune lors de la bulle immobilière et qui effectue désormais plus de 50% de son chiffre d’affaires à l’étranger est déficitaire.

Un accord a finalement été signé le 14 Mars. L’accord sur le co-financement inclut une nouvelle ligne de financement qui implique l’assureur Zurich, et la prolongation du moratoire sur certains paiements pour permettre la poursuite des investissements sur le chantier. Il prévoit également que les travaux soient achevés en décembre 2015.

Un tel niveau d’investissement et d’endettement pour un pays de 3.3 millions d’habitants ne laissent pas d’interroger ; sans entrer dans le détail, cela représente une charge de 2000$/habitant, quasi 6 mois de revenus. La contrainte cash pourrait ainsi apparaître rapidement car le président actuel, Ricardo Martinelli (propriétaire de la gigantesque chaîne de supermarchés Super 99) a maintenu et décidé d’importants investissements destinés à améliorer la qualité de vie des Panaméens dont la construction du métro de Panama City, dans laquelle réside la moitié de la population du pays, l’agrandissement des terminaux portuaires et de l’aéroport. A ceci s’ajoute une surenchère de promesses au moment où ont lieu les campagnes électorales destinées à élire le Président de la République, les députés et les maires pour une nouvelle période de 5 ans.

 

 Géostratégie du Canal

Dans le grand jeu international du « je te tiens, tu me tiens par la barbichette », l’extension du Canal de Panama décroche une forme de pompon. En effet, il faut rappeler que le Canal ne voit passer que 5% du trafic mondial, ce qui est loin d’en faire un verrou et que l’alternative ferroviaire entre les côtes Ouest et Est des Etats-Unis reste économiquement intéressante pour certains frets.

Par ailleurs, le Nicaragua semble prêt de déterrer son projet de Grand Canal unissant les 2 océans sur son territoire ; le président Ortega  a affirmé en janvier 2014 que les travaux devraient démarrer avant la fin de l’année. Le Grand Canal sera 3 fois plus long que le canal de Panama, mais plus proche des Etats Unis. Le communiqué est co-signé par le président de HKND Group, le chinois Wang Jing. Le projet est estimé à 40 milliards de dollars. Il comprend outre la voie d’eau, la construction de 2 ports, un aéroport et 2 zones franches : de quoi booster l’économie de ce pays de 6 millions d’habitants considéré comme un des plus pauvres d’Amérique Centrale après Haïti.

Enfin, l’utilisation du Passage du Nord-Ouest se profile à l’horizon (à force de faire fondre la banquise, nous y arriverons) et permettrait  de réduire grandement le temps/coût de transport entre l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Europe. Il est amusant d’observer que l’Islande (ruinée après la crise des subprimes et que l’Europe a laissé tomber) a obtenu un refinancement complet de son économie par la Chine en échange de…. l’appui de l’Islande afin que la Chine rejoigne le cercle restreint (Canada, Etats-Unis, Russie et Europe – via UK, France, Danemark.. -) des pays ayant leur mot à dire en ce qui concerne l’Arctique ; effet du hasard, la Chine dispose déjà de deux navire brise-glaces à propulsion nucléaire. Prenons note que la Chine n’a pas participé au financement de l’extension du Canal. On ne peut que se dire : certains jouent aux échecs, d’autres au Go.

 

En guise de conclusion, l’île de Taboga, juste au droit de Panama City, abrite la plus grande colonie mondiale de pélicans bruns. Image

 

Ces pélicans, maladroits, s’assommant à moitié à chaque plongée, fournissent, par l’intermédiaire de leur maître immortalisé par Gotlib, une occasion inespérée de renvoyer à notre Rubrique à Brac qui s’étoffe, ce mois-ci  de l’excellente contribution de Gilles (cliquer sur le lien ci-dessous) relative au Révérend Bayes et  aux jeux de rôles, culminant, point d’orgue époustouflant, avec une analyse originale du jeu de l’administration de Georges W. Bush  avec ce pauvre Saddam Hussein …

 Révérend Tom – Contribution Epatante de Gilles

 

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Avec nos meilleures pensées, Santé et Sobriété,

Stéphanie / Christophe

Archipel de Las Perlas – Panama

25 avril 2014

www.yodyssey.com